[#48] L’ambassadrice de tri qui sonne à la porte

Je suis « connue » pour mon écriture du désir lesbien à travers des nouvelles, des romans plus ou moins roses, … Si le sujet est inépuisable, j’éprouve plus le besoin aujourd’hui de mettre en avant ce que mon imaginaire a de plus facétieux.
C’est dans ce contexte que j’ai envie de partager avec vous cette nouvelle en [e-criture] publiée un sur mon site le 3 février 2017. Peut-être est-elle tellement codée que vous ne comprendrez rien, et je m’en excuse à peine. Moi, elle me fait beaucoup rire tant elle dit qui je suis. Âmes non sensibles s’abstenir.

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[Le prétexte] Isabelle a publié dans La vie en Hétéronomie un billet sur les « ambassadeurs du tri ». Les commentaires à ce billet seront le prétexte de cette nouvelle en ce qu’ils invitent à ce scénario :
« Vous avez toujours rêvé qu’une ambassadrice du tri sonne à votre porte et susurre :
— Parlons tri… »

[La nouvelle]
Caddie est tendu. Il a l’habitude de se planquer dans les salles d’examens pour brandir sa roulette à la face d’un examinateur trop zélé, d’accompagner les rendez-vous administratifs et professionnels pour absorber les torts et les offenses, de précéder les voyages pour contrôler les roulements pendant que Petit Koala vérifie les systèmes informatiques et de sécurité. Il sait faire les commissions aussi pour éviter à sa ménagère albinos les fruits pourris et les rabais frauduleux. Il n’a pas son pareil pour courir à l’autre bout du monde ou sauter la barrière du temps afin de transporter la bande pour qu’elle se régale de la partie de foooot qui va la mettre en joie. Oh ! oui, tout ça il sait faire. Mais là ; il est devant un sacré morceau et il n’est pas certain que sa magie puisse agir sur un cas si difficile.
À ses côtés, Petit Mouton s’impatiente.
— On y vaaaa ?
— Oui p’tit gars, on y va. On n’est pas en retard. La route n’est pas longue.
Caddie vérifie que tous y sont, Petit Mouton, bien sûr, Petit Koala qui emporte avec lui la RAM de Petit 6, Big Mac, Petit Air, Petit Faune, Petit Doro et Mac Mini afin d’avoir une puissance de calcul décuplée (Petit Doro, c’est surtout pour lui faire plaisir), Copain Mouton et Petit Panda, les pros du buuut, Plaidounet qui va avoir la lourde tâche de tenir tout ce joli monde au chaud avec l’aide précieuse de Bouillotte pendant que Vent d’hiver donnera son point de vue, les nouveaux copains Poisson avec les Crevette et les Escargot, Balance qui parlera pour ceux qui peinent à l’oralisation, Stepper dont la force d’avancement est sans égal, La Cocotte, bien sûr, avec ses fétiches Couteau, Tour rose et Drapeau, Lapin crétin, et la Principalate.
La Principalate ?
Elle n’a pas son pareil pour désincarcérer les personnes des ascenseurs et mettre un petit coup d’extincteur sur les feux qui menacent de tout détruire. Caddie a jugé bon de lui demander son aide. Et pas à sa ménagère albinos ? À cette heure-ci, elle dort et il n’est pas question de l’en empêcher ; elle devra faire demain la triangulation pour diffuser l’algorithme. Si on la prive de sommeil, elle n’ira pas dérouler et c’en sera fichu du travail accompli cette nuit.
Caddie active le roulement. Cela grince un peu au départ (l’arthrose de la roulette) mais, très vite, l’équipage rejoint le square W où le vieux Tilleul les attend. Sur le banc, Yousra est là. Elle vient tous les soirs pour nourrir sa joie près des occupants du square. Elle ne savait pas pour la réunion… Caddie l’invite à rester ; la Principalate n’est pas fâchée d’avoir une congénère de la Ville à ses côtés pour faire le lien avec cette partie du monde que l’on nomme fort abusivement réalité et que l’on ferait mieux de considérer comme l’illusion tant la soi-disant rationalité qui la gouverne est loin du cœur des hommes et de l’amour de Petit Mouton.
Plaidounet s’installe sur le banc, Bouillotte au centre. Chacun s’assoit en cercle pour profiter de la chaleur. Vent d’hiver ralentit son souffle autant que bise se peut. Petit Koala s’active déjà à l’association des RAM. Il leur faut trouver l’algorithme qui va faire sauter la confusion. Galère ! Mais ils y croient, ce d’autant que Balance leur a fait la surprise de venir avec sa copine de Ménage, une contrée lointaine où l’on mesure le flocon à l’aune de l’amour en barre ; ce qu’elle a dans le processeur intéresse bigrement Petit Koala qui y voit une nouvelle perspective dans la pesée du pour et du contre. La Cocotte, très prévoyante, distribue une soupe bien chaude suivie de ses fameuses crêpes au lait d’avoine et graines de sésame. La collation est l’occasion de bavardages aimables. Petit Mouton propose une partie de foooot.
— Pas tout de suite, mon p’tit gars, le rassoit Caddie, grand ordonnateur de la réunion. On a du pain sur la roulette.
À cet instant, une lumière jaillit de la rosace, indiquant que la Soufrière est là et qu’elle va donner un coup de lave pour réchauffer les opérations. Les Tour, qui veillent toujours, applaudissent, l’une d’un coup de projecteur, l’autre d’une aube bleue. Quel festival ! La bande, la Principalate et Yousra sont émerveillées ce d’autant qu’à cet instant précis, Veste de kimono mue par dix Corneille en livrée et trois Alouette passe le faisceau croisé avant d’atterrir en douceur au pied du banc.
— Liiiiiilyyyy !
Le cri est unanime. Seule la Cocotte fronce du bec.
— Les Alouette, en plein hiver ? C’est contre nature, petite !
— Si l’on veut restaurer le printemps dans les cœurs, il nous faut toutes les plumes.
Chacun acquiesce et la Cocotte s’en va chercher au fond de sa besace une sucette à l’anis pour donner à cette jeune enfant le goût de la vie. Lily la remercie. Elle embrasse chacun à grand renfort de câlins et de douces paroles. Petit Mouton lui fait une place entre lui et la Principalate. Elle le prend sur ses genoux avec Copain Mouton, Petit Panda, les Poisson, les Crevette et les Escargot. Les Tour et la Soufrière baissent la lumière sans l’éteindre. Petit Koala dit qu’il est prêt ; chacun donne ses idées et les RAM feront le reste. La Cocotte attaque la première.
— Il leur faut retrouver Jésus ! Dans moins d’un mois, c’est Carême ; elles doivent chacune renoncer à la rancune.
— Et on demaaande à François un ballooon de foooot ! renchérit Petit Mouton.
— Et du jus d’orange, car avec le jus d’orange, tout s’arrange !
Ma-Jeanine ?
En personne ! Elle a profité de la triangulation du matin pour se planquer derrière l’absinthe et être là ce soir. Les morts qui vivent dans nos cœurs ont des choses à dire dans cette affaire, comme dans toutes celles où les vivants se gâchent la joie. Elle ajoute trois crêpes pur beurre pur sucre à l’algorithme et se met à danser avec le Gynko venu voir ce qu’il se passait.
— Il faudra*iiii*t peut-être de la b*aaaaaa*ve de grenou*iiiiii*lle, suggère Copain Mouton, peu familier des opérations de sauvegarde de cette ampleur.
— Pour quoi faire ? demande Lily.
— B*eeeee*n, j’sais p*aaaaaa*s ; y a toujours de la b*aaaaaa*ve de grenou*iiiiii*lle dans les form*uuuuuuu*les des l*iiiiiii*vres.
— Tu as raison Copain Mouton, on ne néglige rien. Quelqu’un connaît une grenouille ?
Escargot répond qu’il peut donner sa bave qui la vaut bien. Tout le monde est d’accord. Petit Koala prend. La RAM de Petit Doro se colle aussitôt à celle de Big Mac, créant un arc électrique du plus bel effet.
— C’est fêêêête !
— On l’espère, lui répond Lily. Ce le sera vraiment quand nous aurons rempli notre mission. Tilleul, tu aurais un peu de sève à nous donner ?
Il organise immédiatement un don collectif dans le square ; les arbres font la queue, tendant une branche à bonne veine à Petit 6 qui s’est improvisé infirmière avec l’aide de Yousra qui gère le questionnaire de santé avant prélèvement.
— Vous n’avez pas été replanté récemment ? Pas de contact sans écorce avec des riverains partisans des grilles ? Pris de la pluie après le dernier épisode de pollution ?
Tous sont bons pour le don ; la bande jubile. Les Corneille et les Alouette, restées près de Kimono porteur, s’en vont chercher avec Stepper quelques pierrettes pour ajouter un peu de minéral à la mathématique. Copain Mouton, après un long conciliabule avec Plaidounet, Petit Panda et Petit Mouton, décide de sacrifier son étiquette à cette belle entreprise, Petit Mouton gardant la sienne si emblématique. Il s’associe à Lapin Crétin pour offrir les dernières dragées de leur mariage tellement virtuel qu’il ne peut pas faire de mal à l’amour. Les Poisson craignent qu’une écaille ne porte ombrage à la réconciliation. Lily les rassure.
— Il n’y a pas d’amour sans un peu d’adversité et vos écailles ont grandi dans de l’eau de Paris, la plus pure. Elles ne peuvent que nous donner la fraîcheur dont cet amour-là a besoin.
Les Crevette détachent un petit bout de leur queue (tout petit) et la Cocotte sort de sa manche un fait-tout qui va aider Petit Koala à touiller l’algorithme.
— Hé ! Ho ! Y a un copain qu’aurait une cuiller ?
Personne n’a. Un instant de doute s’installe. L’instant d’après, Stepper propose de plonger dans le fait-tout et de mouliner à l’instar d’une moissonneuse-batteuse. Quelle bonne idée ! Les pédales se mettent en branle avec l’aide de Petit Panda qui a de sacrées cuisses à force de s’entraîner sur Grand Vélo et sous les encouragements de Vent d’Hiver. Très vite, Petit Koala est ravi du résultat. L’algorithme prend forme. Il manque juste un petit quelque chose…
— Une crotte de nez ?
Qui a osé ?
La ménagère albinos est là, debout, en collant de jogging et brassard clignotant. La Lune sort du bois.
— Ce n’est pas l’heure ma chérie. Retourne te coucher. Je t’accompagne.
Qui résisterait à la compagnie de la Lune ? Pas la ménagère albinos, en tout cas. Lily aurait bien voulu qu’elle reste, pourtant. C’est la première fois qu’elle voit une congénère. La Lune la rassure ; elle la rencontrera bientôt, pour de vrai, sur le tatami d’Eunice.
— Elle est judoka ?
— Ouiiiiii ! Chez nouuuus, on l’appeeelle Petit Scarabée !
— C’est un joli nom, Petit Mouton. Tu sais quelle ceinture elle a ?
— M*aaaaaaa*rron !
— Bientôôôôt noiiiiire !
Caddie les interrompt.
— Il faudrait que l’on se dépêche un peu. La Lune a collé ma ménagère albinos au lit mais elle va bientôt se relever pour faire la triangulation. Vous êtes prêtes, les Tour ?
Eiffel et Montparnasse opinent au péril de prendre l’allure Pise. La Soufrière les remet droite d’une petite poussée sismique. La Cocotte et ses fétiches Couteau, Tour rose et Drapeau libertaire dispensent dans l’algorithme tout ce que la Terre comporte d’opinions contradictoires. C’est exactement ce qu’il manquait. La fusion s’opère encore plus sûrement qu’avec la plus aboutie des pierres philosophales. Les RAM sont aux anges ! Jamais elles n’ont produit si beau calcul. La bande est un moment émue avant qu’un cri ne fende la nuit, un cri tellement chargé d’amour que, dans leur sommeil — une étude épidémiologique le prouvera plus tard — chaque citoyen de Paris, madame la maire en tête, a éprouvé une sorte de félicité qui a transformé sa nuit en un moment de bonheur non sans conséquence sur les journées suivantes.
— Fooooooot !
Le cri a été si puissant que Petit Mouton a failli s’évanouir. Bouillotte s’est précipitée, Yousra sur ses talons. Tous ont vite été rassurés ; Petit Mouton allait bien et Lily disposait maintenant d’un algorithme qui allait remettre l’amour au centre du tatami d’Eunice et de Camille.
— Mais je fais quoi maintenant ?
— Ouvre tes mains, lui demande Caddie. Voilà. Les RAM, envoyez la sauce, si je puis dire… Très bien. Laisse tes paumes à plat. Nous allons tous venir embrasser la formule à la manière qui est la nôtre puis rentrer dormir. Tu poseras alors les mains sur le tronc de Tilleul. L’algorithme sera là. Quand ma ménagère albinos passera en courant demain matin, Les Corneille guetteront et diront à Vent d’Hiver et à la Soufrière l’instant précis où ils souffleront pour qu’il se lie à l’énergie de la triangulation. Et là…
— Là ?
— Làààà ?
— Làhà ?
— L*ààààà* ?
— Il n’y aura plus qu’à attendre de voir si ça a marché.
Un lourd silence écrase le square W. Lily ouvre les mains. Chacun y dépose son amour avec toute la mathématique due aux circonstances. C’est l’heure de partir. Les Tour leur promettent de les laisser en contact. Caddie raccompagne chacun. Le réveil sonne. La ménagère albinos grogne. Caddie est confiant. Elle va courir.
Cy Jung, 24 janvier 2017

2 thoughts on “[#48] L’ambassadrice de tri qui sonne à la porte

  1. Cette histoire est magnifique.
    Je me souvient l’avoir lu. Je ne sais plus si c’était en 2017, ou.

    J’ai fini de la lire et j’ai encore des frissons.
    Je n’ai peut-être pas compris toutes les métaphores, mais dans cette équation, chaque terme d’un telle richesse s’additionne encore au tout pour en faire un plus grand tout.
    Cette nouvelle est vraiment magique.

    J’ai presque envie d’en tisser les mots et m’en enrouler comme d’une couverture.

    Un gros bisous à toute la bande de copains.
    Mais il y a déjà Plaidounet 🙂

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