Nourrice

J’avais conscience, après l’intensification thérapeutique suivie d’une autogreffe de cellules souches, que ma moelle osseuse a aujourd’hui l’âge de cette autogreffe, c’est-à-dire quatre mois à ce jour. Je savais que mon immunité s’en trouvait fragilisée sans en mesurer véritablement les conséquences. J’avais interrogé régulièrement les médecins sur ce qu’il pouvait en rester. Par exemple, entre mes vaccins covid et le fait que je l’ai eu cet été, une mesure sérologique a montré début janvier que j’avais le plein d’anticorps. Ce que j’avais retenu, c’est que c’est plus l’immunité acquise récente qui était détruite et qu’il fallait reconstituer… Ce n’est pas forcément le cas. Les médecins ont des réponses souvent évasives sur ces sujets : cela dépend des personnes et l’immunité est quelque chose de très complexe.
C’est dans ce contexte que je viens de me faire attraper par un virus inconnu (ni grippe ni covid) qui m’a donné trois jours de fièvre importante et m’a coupé le souffle. Huit jours plus tard, je suis encore très fatiguée et je sens qu’il va me falloir un peu de temps pour rebondir. Mon médecin hospitalier m’a expliqué que je reste très exposée à de méchantes infections virales pendant un an après l’autogreffe et qu’à cet anniversaire, tous mes vaccins infantiles seront vérifiés. Il était même surpris que je ne sois pas tombée malade plus tôt…
Ces révélations sur mon âge hématologique et ses conséquences réelles sur mon immunité m’ont amenée à vouloir en rire, ce d’autant que les cheveux et les poils qui repoussent sont pour l’instant ceux d’un bébé : moins drus et plus clairs. J’ai donc décidé que j’avais désormais deux anniversaires, le jour de ma naissance et le jour de l’autogreffe de cellules souches qui résonne finalement comme une seconde naissance (je l’avais déjà perçue un peu comme ça). J’ai par ailleurs fait rire mon médecin hospitalier en lui demandant si je pouvais sucer mon pouce. Pour le reste, une voisine coquine m’a fait remarquer qu’à quatre mois, il me fallait une tétine. Pendant mes heures de fièvre, j’aurais effectivement apprécié que quelqu’une me berce contre son sein.
Blague à part, je ne mesure pas encore toutes les conséquences psychoaffectives de cet âge double mais je ne peux pas considérer qu’il n’y en a pas. Dans les blagues que nous avons faites avec Sarah, il y a la question de savoir si je vais enfin passer le stade sensorimoteur [Cf Tu vois ce que je veux dire (2001)] ; ou si mes dents de sagesse vont repousser ! Que l’on se rassure, cela ne va pas arriver. La seule chose que je trouve pour l’instant intéressante c’est que cela ne me pose pas de problème d’avoir un âge hématologique de quatre mois et que je n’ai pas spécialement envie de grandir plus vite que la musique même si c’est une bonne chose pour m’éviter les méchants virus.
On dit souvent que quand on vieillit, on revient à l’état infantile : si j’y réfléchis bien, j’ai le privilège qu’une partie de moi-même goutte à la saveur de la prime enfance sans qu’aucune de mes facultés physiques et mentales me porte à la dépendance. Que faire de cela ? Je ne sais pas.