Compter des gouttes

Depuis des décennies que je vais en personne chercher mes médicaments à la pharmacie, informant systématiquement mes pharmaciens de ma déficience visuelle pour qu’ils évitent d’écrire comme des cochons sur les boîtes, c’est la première fois vendredi qu’une pharmacienne s’est inquiétée de savoir comment je comptais mes gouttes. Paradoxalement, ce n’est pas forcément le plus difficile pour moi : je prends un verre en plastique, je coupe le son de mes enceintes, je secoue le flacon et guette le bruit de la goutte qui tombe. Essayez, vous verrez que cela fait énormément de bruit. Pour les gouttes dans les yeux, c’est encore plus simple, il suffit de bien positionner ses doigts et quand la goutte tombe, on le sent.
D’autres choses me sont plus compliquées, comme arriver à lire le nom des médicaments quand ils sont nommés par la molécule qui les compose, comme c’est le cas des génériques (c’est toujours plus simple pour moi de lire un mot que je connais qu’un mot que je ne connais pas). Les boîtes ne se distinguent pas les unes des autres, et je n’ai pas la mémoire nécessaire pour retenir leur nom moléculaire. Pour qui ce est des notices, cela fait très longtemps que j’ai abandonné la loupe pour aller voir en ligne les notices officielles qui sont très bien faites. Restent enfin les petits comprimés qui se carapatent et que je ne retrouve pas car ils sont trop légers pour que je les entende au moment où ils touchent le sol ou le plan de travail.
À cet impossible, s’en joignent d’autres : mesurer une quantité de liquide ou de crème avec une pipette, trouver le mode d’ouverture quand celui-ci n’est pas habituel ou apposer une solution avec précision, comme sur une verrue. Je me souviens d’ailleurs m’être frittée avec un dermato qui refusait de comprendre que je ne pourrais pas suivre son traitement, convaincu que j’aurais forcément quelqu’un à la maison pour m’aider.
Il est en effet là le point d’achoppement, l’idée selon laquelle un déficient visuel ne peut pas vivre seul et qu’il est donc inutile de faire un effort en matière d’accessibilité. Combien de personnes s’intoxiquent avec des médicaments ou suivent mal leur traitement par défaut d’informations lisibles ? Je pense surtout aux personnes âgées qui n’ont pas les mêmes réflexes que moi en matière d’adaptation. Peut-être, un jour, l’industrie pharmaceutique se penchera sur cette question… Un jour.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.