Le consentement

Je viens de terminer la lecture du Consentement de Vanessa Springora. J’ai eu envie de lire ce livre à l’occasion de la sortie du film éponyme ; j’ai entendu une critique négative du film (actuellement en salle) qui indiquait que le livre était particulièrement bien écrit. Ce n’est pas là la moindre de ses qualités.
Je suis née en 1963, j’ai grandi à partir de 1968 dans cet univers mi-gauchiste mi-républicain ou la libération sexuelle se vivait au quotidien. Cette libération touchait les adultes bien sûr mais les enfants aussi dont la qualité de sujet désirant était reconnue. À l’instar de Vanessa Springora, mon père était plutôt absent, et sans être une petite fille hypersexualisée, je savais très bien, surtout au début de l’adolescence, exprimer mon désir de plaire et d’être aimée. Je me souviens par exemple de ces chaussures orange à semelles compensées que je portais pour aller voir papa au Sénégal, de quoi essayer de me grandir, tâche bien difficile au vu de la jupe salopette en jean que je portais également…
À la maison, il y avait des amis de partout, des soirées couscous ou châtaignes dans la cheminée, des virées chez untel qui circulait tout nu chez lui, beaucoup de vin et de cigarettes (pas de shit dans mon souvenir). J’ai retrouvé une partie de cette ambiance, au moins les idéaux véhiculés, dans le livre de Vanessa Springora avec une nuance de taille : si, à la maison, le désir des enfants était reconnu, il n’était pas considéré comme directement sexuel (car le désir d’un·e enfant d’être aimé·e et de plaire ne peut pas se confondre avec le désir sexuel tel qu’un adulte l’entend) et il était clair que ce n’était de toute façon pas aux adultes de la satisfaire, de l’initier… Ça fait toute la différence, ce me semble, avec un discours et une pratique pédophiles.
Ce contexte personnel a eu une incidence majeure sur ma lecture du Consentement au-delà du soulagement d’avoir échappé au pire. Ce livre remarquable m’a glacé le sang dans la description redoutable du mécanisme d’emprise qu’il incarne ; il m’a fait douter parfois de mes convictions sur la reconnaissance de l’enfant comme sujet même si je persiste à penser que l’existence de ce désir n’a rien à voir avec son appropriation par un·e pédophile ; il m’a interrogée sur la liberté de création que je défends ardemment ; il m’a convaincue (si ce n’était déjà fait) que l’emprise est la pire souffrance que l’on puisse infliger à autrui.
Lisez ce livre, même si certains passages sont difficiles ! Et si vous avez le moindre doute sur les intentions de quelqu’un·e à votre égard, à l’égard d’un enfant ou de l’un de vos proches, ne vous taisez pas ; ne vous voilez pas la face ; ne confondez pas l’emprise et l’amour ; défendez la liberté !