Agri-profiteurs

J’ai entendu beaucoup de choses sur la crise agricole, surtout des choses qui m’ont passablement énervée. Une grande tendance est de mettre en cause le consommateur qui exigerait des prix bas alors que les contraintes administratives et environnementales sur la production agricole sont de plus en plus importantes. Il a bon dos le consommateur ! En général, il consomme ce qu’on lui donne à consommer, surtout en zone urbaine, et je n’ai rien entendu qui pose la question de l’alimentation au sens large du terme.
Nos agriculteurs (pardon, les agriculteurs qui passent à la télé) se plaignent que l’on importe de la viande ; ils réclament de l’eau pour le maïs ; ils exigent des moratoires sur l’utilisation des pesticides ; etc. Pendant ce temps, les coopératives et les distributeurs tirent les prix d’achat tout en gardant leur marge… Et il faudrait que le consommateur soit le responsable de cela ?
Qui lui propose de manger autrement ? Il ne s’agit pas d’arrêter de manger de la viande pour arrêter de manger de la viande. Il s’agit de regarder ce qu’il y a dans les rayons des supermarchés, dans nos frigos et dans nos congélateurs. Est-ce cela une bonne alimentation, des centaines de références de yaourts et laitages, des gâteaux par milliers, des étalages de viande plus conséquents que ceux des fruits et légumes, des plats cuisinés (à la viande toujours) plutôt que des produits bruts, etc. ?
Une fois encore, c’est le modèle économique ultralibéral qui est à mettre en question et la consommation de masse. Au vu de la quantité de nourriture jetée dans la chaîne alimentaire, il y a déjà matière à nourrir la population sans produire plus. Si l’on ajoute à cela le fait de se nourrir autrement, en évitant ces aliments transformés délétères pour la santé et qui génèrent énormément de déchets d’emballage, si l’on se remet en cuisine, on peut se nourrir très bien sans forcément voir son budget exploser.
Quand on voit par ailleurs les prix pratiqués par les producteurs qui vendent en quasi direct dans les Amap et autres circuits courts, il y a de quoi se dire que le revenu agricole a de beaux jours devant lui quand il échappe à la concurrence ultralibérale : tout ce que j’achète dans ces circuits est deux à trois fois plus cher qu’un produit identique acheté au supermarché. On m’explique ?
À mon sens, la crise agricole se résume à une question, toujours la même : dans quelle société voulons-nous vivre ? Aujourd’hui, ce sont les agriculteurs impliqués dans les marchés ultraconcurrentiels qui font les frais des distorsions de concurrence dans un contexte de surendettement alimenté par les banques. Je ne m’inquiète pas pour eux, ils sont sur la même ligne économique que le gouvernement et le président de la République ; ils seront saufs. Et moi, pendant ce temps, je paie le kilo de sucre deux fois plus cher qu’il y a un an ; pourquoi pas ? Mais il faudra m’expliquer pourquoi puisqu’il semble que ni les producteurs de betteraves, ni les industriels, ni les distributeurs n’en portent la responsabilité.

NB. Il paraît que les agriculteurs en colère veulent « affamer Paris » ! Chouette ; je vais pouvoir faire un peu de vide dans mes placards.