J’allais prendre l’ascenseur avec Sarah et je me suis rendu compte que j’avais oublié mon téléphone. Je suis donc allée le chercher pendant que Sarah gardait l’ascenseur. Un de mes voisins est arrivé. Sarah lui a expliqué pourquoi elle gardait l’ascenseur. J’étais déjà sur le palier en train de fermer ma porte.
Étant donné l’âge du voisin et sa suffisance, j’ai eu droit à un propos convenu sur le thème « il y a vingt ans, on s’en passait très bien ». J’ai alors argué que pour ma part, un téléphone me permettait de voir, et qu’il m’avait beaucoup manqué les cinquante premières années de ma vie. Je pense que le voisin n’a absolument pas compris de quoi je parlais. Il a continué son bla-bla sur la dépendance au téléphone ; j’ai continué le mien sur le fait qu’un téléphone permet de voir.
Je ne sais même pas si ce voisin a conscience de l’importance de ma déficience visuelle même s’il a forcément l’information. En tout cas, il n’a aucune conscience de l’usage différencié que l’on peut faire les uns les autres de nos téléphones mobiles. Pour la déficiente visuelle que je suis, c’est avant tout un outil de mobilité, une loupe très performante, et une sécurité importante notamment dans la possibilité qu’il me donne d’appeler au secours sans les yeux et sans les mains.
Peut-être que ce voisin comprendra un jour ce que je lui ai dit ; peut-être ne le comprendra-t-il jamais. L’autre jour, une autre voisine est passée chez moi et m’a fait remarquer mon suréquipement informatique. C’est une voisine gentille. Je lui ai fait la démonstration de l’intérêt des différents outils à ma disposition ; dix minutes plus tard, elle m’a remerciée et indiqué qu’elle allait en parler à une amie à elle qui perdait en autonomie… Je préfère nettement ce dialogue-là, forcément.