Le combat contre la maladie

« Jane Birkin s’en est allée après 16 ans d’une bataille acharnée contre la maladie (…). » Bataille, combat, lutte, … quel que soit le mot utilisé, l’idée est la même ; et je la trouve très éloignée de mon ressenti de malade. Avant même de l’être, je n’ai jamais aimé cette formule, peut-être parce qu’elle dit qu’il faut être « courageux », et que si on ne l’est pas, ou pas assez, on perd la bataille et on meurt. Pire encore, que si l’on meurt, c’est qu’on ne l’a en fait pas été (courageux) même si la nécrologie dit le contraire !
Mais que serait « être courageux » face à un virus, une bactérie, un dysfonctionnement métabolique… ? On n’a pas prise sur ces choses-là. On peut espérer que les médecins, la médecine, disposent de moyens pour détruire ce qui attaque le corps. C’est le cas dans beaucoup de maladies. Pour d’autres, ils n’ont pas ; ou ils ont partiellement. Le médicament combat. Le médecin définit un plan de bataille. Le malade, lui, n’est pas dans la lutte. Il est dans la vie. Et vivre n’est pas une lutte, c’est une évidence.
Si c’est un malade vertueux, il prend consciencieusement ses traitements, il accepte les effets secondaires, il essaie de manger vitamines, fibres, protéines et tout ce qui est réputé aider la bonne santé, de boire (de l’eau) autant qu’il faut, de dormir, de bouger, de penser, d’aimer, d’espérer… Mais la vertu n’est pas un courage et si la bonne molécule n’existe pas, ou si le corps n’est pas réceptif à cette molécule, le malade peut faire tout ça, cela ne changera rien à l’issue.
Alors pourquoi cette formule est-elle si courante ? Pourquoi quand quelqu’un meurt après une longue maladie on parle volontiers de son combat, de son courage ? Que cherche-t-on à dire ?
Je ne sais pas.
Je m’interroge.
Il y a déjà la personnification de la maladie qui me dérange, comme si elle était un tiers à soi-même. La maladie est dans le corps du malade ; et chacun sait que toutes les médications sont à la fois bénéfiques et toxiques ; le bon traitement est ce celui va avoir des effets bénéfiques sans que les effets toxiques ne soient délétères. Accepter l’idée d’un « combat contre » serait ainsi sceller l’idée d’une bataille contre soi et, même si je ne considère pas la maladie comme étant « ma maladie » mais « une maladie », je ne suis pas en guerre contre elle ; je vis avec elle ; je ne suis pas en guerre contre moi, contre mon corps qui l’héberge (voire l’a fabriquée) ; je peux juste nourrir l’espoir que les traitements sont efficaces (rassurez-vous, ils le sont).
Cela n’a décidément rien à voir avec un combat. Je ne me suis d’ailleurs jamais sentie aussi pacifiste. Mon corps, ma chair, je les dorlote ; j’essaie de trouver le juste équilibre entre l’activité, le repos, une alimentation de grande qualité, un sommeil réparateur, en m’adaptant à l’agenda médical, aux douleurs, aux traitements, aux effets secondaires… Ce n’est pas un combat, vraiment pas ; c’est beaucoup plus une expérience, un vécu particulier.
C’est vrai que parfois je serre les dents, parce que ça fait mal, parce que je n’ai pas bien dormi, parce que les traitements ont des effets aussi surprenants qu’indicibles ; je serre les dents aussi parce qu’émotionnellement c’est beaucoup de choses à gérer, de l’angoisse, des questions, et surtout un désir d’être bien (de vivre au mieux), de profiter au maximum de ce qu’il m’est possible, d’être heureuse là où l’idée de la maladie voudrait que je ne le sois pas, de considérer qu’elle change la donne mais n’est pas ce qui gâche ; ne doit pas l’être.
Tout cela n’est pas plus difficile que ma vie d’avant ; c’est même parfois plus facile parce que la maladie modifie la perception que j’en ai, de ce que j’ai envie d’en faire, de ce que j’ai envie d’en jouir. C’est un gros coup sur la tête une telle maladie ; mais cela me porte à donner du sens, à apprécier l’instant, à sourire. Je suis judoka. On ne peut être un bon combattant qu’en cultivant l’humilité de perdre le combat ; il n’en est franchement pas question.
Je ne me bats pas.
Je m’adapte.
Je suis malade.
Je vis avec la maladie.
Je vis.
Avec acharnement.