Pulpeuses

Je regarde de temps à autre FranceInfo TV. J’aime bien leurs petits reportages ou mini émissions : j’y apprends plein de choses qui fort souvent accentuent mon sentiment de décalage avec le reste du monde. C’était le cas ce samedi en début de soirée. Il y avait un reportage sur les injections clandestines dans les lèvres de toxine botulique afin de les rendre pulpeuses.
Cela se déroulait à Marseille. De très jeunes filles, de 17 ans à 20 ans, expliquaient combien c’était important pour elles d’avoir les lèvres les plus rebondies possibles pour se sentir belles (aucune n’a dit « se sentir désirable »), combien leur apparence leur était essentielle sur fond de canons de beauté diffusés par des influenceuses. Le reportage, bien sûr, s’attardait sur celles que ces piqueuses clandestines avaient « raté » : risques infectieux, défiguration, douleurs… c’était important de le dire, comme c’était important que chacun sache que ces piqueuses clandestines peuvent gagner jusqu’à 5000 € par mois sans payer aucune charge sociale ni impôt.
Nos jeunes filles, qui se promenaient dans les rues de Marseille lèvres pulpeuses bien maquillées en avant, n’en avaient cure. « Le risque zéro n’existe pas. » a dit l’une d’elles. Et moi, de mon côté de la télévision, je n’avais pas envie de porter un jugement moral sur leurs choix esthétiques. C’était bien difficile, ce d’autant que la beauté qu’elles défendaient m’a laissé pantoise.
Je n’ai a priori rien contre les lèvres pulpeuses ; je ne m’étais en fait jamais posé la question jusqu’à ce jour considérant que les lèvres des unes et des autres sont ce qu’elles sont. J’ai sans doute trouvé belles des actrices, des mannequins, ou des femmes dans la rue qui avaient les lèvres pulpeuses. Mais, pour ces jeunes filles, comment ne pas remarquer leur visage sans caractère, leurs cheveux lissés artificiellement qui avaient un air de postiche, leurs vêtements sans personnalité qui ressemblaient à une affiche publicitaire ?
Moi, ce qui me fait craquer chez une fille, c’est la manière dont elle me sourit. Le reste… peu me chaut ! Ces jeunes filles souriaient à peine, sans doute pour ne pas toucher au maquillage ou à je-ne-sais-quoi. Et je dois bien avouer sans vouloir les blesser que je les ai trouvées fondamentalement moches tant ce qu’elles cherchaient à fabriquer de beauté était artificiel, totalement étranger à l’idée que j’ai des surprises et tempéraments de la chair.
Ce qui m’a le plus inquiétée, et fort étrangement, c’est que très vite j’ai eu envie de me projeter dans leur avenir et de me demander quelle vie elles pourraient se construire avec cette obsession des lèvres pulpeuses et d’une esthétique totalement affectée. Je n’ai évidemment pas le droit de juger de leurs choix à part reprendre une idée soufflée par Isabelle sur le coût environnemental de ces influenceuses en vidéo et de la consommation qui va avec. Mais c’est bien la question de leur avenir qui se pose : quand à 17 ans la priorité est de se faire injecter de la toxine botulique dans les lèvres pour les avoir pulpeuses++, qu’est-ce que l’on espère pour sa propre vie ? Quel monde rêve-t-on ? J’avoue, je ne sais pas, sauf à en être fondamentalement effrayée.