Antonietta

Dans les premières vingt-quatre heures après la dramatique explosion qui a tué huit personnes à Marseille, France Info a diffusé des micros-trottoirs où les voisins évoquaient la personnalité des potentielles victimes (on ignorait alors quelle serait l’issue des recherches). Il a été ainsi question d’Antonietta, 88 ans, « figure du quartier ». Quelques heures plus tard, le gaz a commencé à apparaître comme cause possible de l’explosion. En blaguant, j’ai dit à Isabelle « Antonietta s’est fait un petit chocolat à 2 heures du mat’. »
Trois jours plus tard, le fils d’un couple de personnes âgées mortes dans l’explosion accuse : la vieille dame était sénile et laissait souvent le gaz ouvert ; ses parents l’ont signalé aux « services sociaux », qui n’ont pas réagi à la mesure du péril ; et le fils porte plainte aujourd’hui pour homicide involontaire. On retrouve dans cet article (réservé aux abonnés) son récit où, fait remarquable, il ne charge pas la vieille dame considérant son irresponsabilité comme acquise mais plus l’absence de prise en charge de sa sénilité.
J’ignore absolument ce qu’il s’est passé, l’enquête le dira. Un article de France3 porte un démenti du Centre d’action sociale qui indique avoir été saisi sur la question de l’isolement de cette femme, pas pour des problèmes de gaz (le fait qu’elle l’utilisait pour cuisiner est en débat dans plusieurs articles de presse). Je suis souvent confrontée à des personnes, lors de mes permanences pour le médiateur de la Ville de Paris, qui, sans être « séniles », présentent des troubles du comportement qui m’interrogent : paranoïa, logorrhée, affolement…
Que faire alors ? Comment estimer si ces personnes sont en danger, ou constitutives d’un danger pour autrui ? Quand j’ai un doute, je signale à la mission de la médiation qui peut saisir les services sociaux et le Clic. Mais que faire si la personne refuse toute aide et considère qu’elle est mieux chez elle que dans n’importe quelle institution ? Tant que tout va bien, chacun considère que le maintien à domicile est salvateur ; au moindre souci, le discours change et d’aucuns s’émeuvent de la situation et vantent les mérites des Ehpad et autres modes d’extraction des personnes du corps social.
Huit cents personnes meurent chaque année en France dans un incendie électrique ou suite à une explosion. Combien sont imputables à ces vieilles gens dont la conscience est altérée ? Je l’ignore… et je me souviens que j’ai mis le feu une fois, chez moi. Je n’ai pas 88 ans mais je suis… Ah ! zut. C’est vrai que je suis bigleuse. Est-il bien raisonnable de me laisser seule chez moi, cuisinière et chaudière à gaz comprises, sous la seule surveillance de Caddie ? Et parmi mes voisins, trente-cinq logements, combien de personnes âgées, handicapées, en dépression sévère ? Nous sommes au moins une douzaine !
Mes voisins sains de corps et d’esprit vivraient-ils sur une poudrière ? Je le crains, pour eux autant que pour moi, ignorant combien d’entre eux ont leur PSC1 et une gazinière qui s’éteint quand il n’y a plus de flamme. Cela me ramène à Antonietta et à ces services sociaux qui n’auraient pas fait leur travail : ce n’est pas si simple et je suis toujours contrariée quand on dispose de la liberté d’autrui à grands coups de déclarations péremptoires. Vivre en société est en soi un risque et l’autre n’a pas besoin d’avoir 88 ans et d’être sénile pour présenter un danger. Non ? Bah si.

 

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