Quand j’ai conçu le manuscrit de Mathilde, je l’ai rencontré dans un train, il s’agissait d’un triptyque ; le désir, l’amour, et leur réconciliation. Le troisième volet n’a pas été publié mais il est écrit, sans que je ne sache trop ce qu’il vaut. Il faudrait que je le relise et peut-être y travaille.
En voici déjà l’incipit dans sa V9 de juillet 2014.
Quand j’ai décidé de tuer Mathilde, j’abordais la montée tournante de la dernière passerelle avant la fin de mon parcours. Le ciel était bleu. L’air était sec et frisquet comme j’aime, plus ou moins trois degrés au-dessus de zéro. Les promeneurs de chiens étaient rares et les effluences de la cantine de l’école maternelle toujours aussi écœurantes. Mon estomac criait famine. J’avais soif. J’étais près de la ligne d’arrivée. Je voulais en finir, vite.
« En finir, vite » : la tuer. Il ne pouvait s’agir d’autre chose.
J’allongeais ma foulée pour ne rien céder à la fatigue, ne pas renoncer. La tuer. J’étais hors d’haleine. Je crachais. La sueur ruisselait le long de mes tempes et de ma colonne vertébrale. Ma nuque était trempée. Mon cœur choquait ma poitrine. J’avançais. Je savais déjà qu’une fois en haut de la côte, j’éructerais pour m’encourager dans l’effort. J’espérais que l’évidence alors se dissiperait, que mon cerveau, privé d’oxygène, en oublierait la flagrance de ce meurtre à venir.
J’allais la tuer, reprendre mon souffle dès la difficulté passée.
Encore dix mètres.
J’y suis.
— Sa, lo, pe, rie !
Je détache les syllabes, une à une, une par pas. Il y en a quatre dans le mot, assez pour purger mes poumons car il paraît que c’est le trop d’air qui essouffle et non le manque, comme je le croyais. La question vient, aussitôt, induite par sa mort annoncée : est-ce la même chose avec l’amour ?
La professeure de piscine et le kiné parlent uniquement de respiration. C’est moi, qui extrapole. Serait-ce à dire que la tuer ne créera pas le manque, qu’au contraire cela donnera sa substance à l’amour, sa force, son essence ? Dois-je la tuer pour l’aimer ? La question est intéressante. L’exécution nécessaire à sa réponse peut l’être également. Sera-t-elle volontaire pour y participer ?
— Chérie ? Tu as prévu quelque chose pour aujourd’hui ?
— Non. Et toi ?
— Je pensais que c’était le jour idéal pour te tuer.
— Ne m’aimes-tu donc pas ?
— Bien au contraire !
Je manque d’air.
C’est tout simplement extraordinaire.
Dire que je n’ai toujours pas (et je culpabilise de l’admettre) lu Mathilde.
Ce petit passage est d’une telle richesse, émotionnelle et rationnelle.
Les descriptions des états, des actions et des pensées rendent cela très réelle, au point que je puisse m’imaginer grimper cette colline, hors de tout contexte.
Je résumerais par un petit (comme l’extrait) : wow !
Vous êtes toujours trop gentil avec moi…
Vous savez bien que ce n’est pas par gentiellesse que je le dis (d’ailleurs, je n’arrive même pas à écrire le mot correctement).