Un ami que l’on perd

Le 2 décembre 2010, j’initiais mes Feuillets, un objet littéraire numérique qui allait me permettre un partage d’écriture tout à fait novateur.
Sur un site Internet dédié « fait maison », je publiais un Feuillet chaque jour d’écriture « au cul du camion », un Tableau de bord qui me permettait de partager ses instants d’écritures et des Documents qui rassemblait mes outils de travail… L’aventure a duré trois ans et sept versions du roman en construction.
Je reviens souvent à ce texte que j’aime beaucoup. Mon objet littéraire est resté très confidentiel ; j‘y ai gagné de comprendre mon travail d’écriture et de décider de le porter sans entraves.

Le matin du 1er janvier, j’ai pensé à cet extrait, et cette phrase « C’est moins triste de croire que l’on égare ses amis plutôt que de penser les avoir perdus (…) » ; voici les quelques lignes qui l’accompagnent.

« Sortir.
« On y est ; on n’y est pas. C’est comme les œufs, dans le ventre du poisson. S’ils y sont, on les mange. On les fume d’abord et on fabrique du tarama, avec des tonnes de crème fraîche et du citron. On avait un ami qui savait faire ça. On l’a perdu, l’ami. Ou égaré. C’est moins triste de croire que l’on égare ses amis plutôt que de penser les avoir perdus ; cela donne l’illusion qu’on peut les retrouver même si on sait que l’on n’égare jamais personne par hasard, même pas un enfant. Surtout pas un enfant. Ce serait comme supposer que le Petit Chaperon rouge savait qu’elle avait été désignée par la crémière pour finir dans la gueule du loup quand elle lui avait confié le fameux petit pot de beurre bien frais. On sourit. Ça suffit du Petit Poisson rouge. On mélange tout, les œufs, la crème et le citron. On ajoute du poivre. On goûte. C’est bon. Il n’y a rien à ajouter. On doit se taire.
« Silence. On éprouve.
« On a du mal encore. C’est si nouveau. Si soudain. Et si long, désormais.
« Attendre.
« On n’a jamais aimé ça.
« Patienter.
« Encore moins. »
Les feuillets, V7, novembre 2013.