En dépit de metoo et de nombreuses actions médiatiques, la place des femmes n’est toujours pas acquise, notamment dans le champ culturel. Le dernier exemple en date est la cérémonie des Césars version 2023. Chacun a remarqué qu’aucune femme n’était nommée en tant que réalisatrice et que l’entre-soi machiste est au top de sa toute-puissance. Cela n’étonnera personne, tout du moins pas moi tant je sais que la place des femmes ne progressera qu’à travers une remise en cause de la domination masculine en tant que système d’oppression intrinsèquement lié à l’ordre bourgeois, hétérosexiste, raciste et validiste dans lequel nous vivons.
Le lendemain de la cérémonie, les femmes qui ont pris la parole en direct pour dénoncer ce sexisme délétère ont été largement relayées sur France Info. C’est pratique. On laisse les femmes dans l’invisibilité, et quand quelques-unes osent sortir de l’ombre, on en fait large publicité sans rien changer au système qui nous a menés là. Tout le monde a la conscience tranquille et la domination masculine fait son lit.
Dans ce concert de légitimes protestations, la compositrice Irène Dresel a fait cette année sensation. Elle est la première femme depuis que cette cérémonie pseudoartistique existe qui obtient le prix de la meilleure musique. Une amie m’a signalé la vidéo que je suis allée voir. Sitôt, une chose m’a frappée : comment peut-on en même temps dénoncer la domination masculine, ou tout du moins une de ses expressions, tout en portant une robe qui incarne ce système de domination, maquillage et posture compris ? La dame porte en effet une robe de gala, en velours rouge, une épaule totalement dénudée, un rouge à lèvres assorti et quelque chose dans ses cheveux qui l’est également.
Je m’en suis ouverte à cette amie qui a défendu la robe, en m’indiquant que cette cérémonie incarne le glamour et qu’il était plus percutant de dénoncer le sexisme dans une belle robe qu’en ce mettant à poil comme l’avait fait en 2021 Corinne Masiero. Nous ne sommes évidemment pas tombées d’accord, ça nous arrive. Et ce n’est pas grave. C’est sans doute parce que je n’ai pas su trouver les arguments pour dire combien le vêtement, et la nudité, sont un incontournable de tout système d’oppression.
À mon sens, la prestation de Corinne Masiero qui passe du costume de Peau d’âne à une robe blanche tachée de sang avant de finir nue, le corps également maculé de sang, était tout aussi codée du côté de la domination masculine. Je me souviens dans les années 70 quand les femmes en étaient à revendiquer « Notre corps nous appartient », la question du vêtement, et de la nudité, se posait. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’elle est totalement abandonnée, avec une recrudescence des clichés sexistes (rose vs. bleu par exemple) et que le glamour, cette érotisation du corps féminin à destination du genre masculin, est considéré comme une valeur « naturelle ».
En fait, la question à laquelle je n’ai pas su répondre était : « Mais comment veux-tu qu’elle s’habille ? » Je ne sais pas. Mais je sais que si l’on ne déconstruit pas les codes vestimentaires, on n’avancera pas. Il est de bon ton aujourd’hui de pointer du doigt le voile comme une marque d’oppression des femmes. Je suis d’accord avec ça ; cela en est à mon sens une. Mais je pense que la robe que portait Irène Dresel à cette cérémonie et l’effeuillage de Corinne Masiero, sans mettre en doute la sincérité de leur engagement féministe, le sont tout autant. Ce qui les distingue, c’est que les unes et les autres ne servent pas les mêmes féodalités sur l’échelle de la domination masculine.
Certaines seraient plus respectables que d’autres ? Ça se discute.