J’avais sans doute imaginé un médecin hospitalier triomphant m’annonçant à l’occasion de l’un de nos rendez-vous que les traitements avaient fonctionné et que j’étais en rémission. Le malade a le temps d’imaginer tant le médecin, presque par définition, le fait attendre. En lieu et place de ce triomphe, je dois à ma seule constance à lire les comptes rendus que je reçois de manière très irrégulière l’annonce de ce résultat, écrit — il faut toujours un écueil — avec une faute de frappe. Je suis donc officiellement en « rméission », ce dont j’ai finalement eu confirmation orale mais uniquement parce que j’ai abordé le sujet avec mon médecin hospitalier.
Comment comprendre cela ? Comment imaginer qu’il ne s’en est pas de son côté réjoui ? Comment accepter que quelque chose d’aussi essentiel qui clôt un an de traitements intensifs passe ainsi à l’as ? D’un point de vue purement médical, ce résultat était attendu : la maladie était déjà quasi absente d’un précédent prélèvement fait fin août ; l’intensification thérapeutique avec autogreffe, dans ce contexte, ne pouvait qu’avoir été très efficace. N’empêche. D’un point de vue humain, affectif, entre la prévisibilité et l’effectivité, il y a une marge que l’on a envie de célébrer.
À la lecture du résultat, j’ai tout de suite informé mes proches et nous avons ensemble chanté et dansé. Notre joie était profonde. J’ai pourtant pris conscience les jours suivants que j’étais triste. Était-ce à cause de cet événement qui s’est transformé en non-événement, me privant de l’expression médicale de cette victoire sur la maladie ? Il y a de cela sans doute ; mais il y a aussi le fait que depuis un an je me consacre H24 aux traitements et à leur accompagnement. Maintenant que j’entre dans une phase de traitement d’entretien, je dois rebondir sans avoir chu au préalable avec cette question : qu’est-ce que je vais désormais faire ? C’est déroutant.
Il s’agit donc de construire quelque chose, une vie, une tranche de vie, avec l’idée que cela peut être mis en suspens le temps de faire la nique à un virus hivernal sans savoir combien de temps la maladie va se faire oublier. Je sais que je ne peux plus faire de judo ; je peux l’enseigner. Je ne sais pas si j’ai envie d’écrire ; je sais que je n’ai pas d’éditeur et que mes derniers textes n’ont pas beaucoup intéressé. Je sais que j’ai dépassé le stade de n’être qu’une formule hématologique ; pour quoi en faire ? Si seulement je le savais.