Quand Marie Docher m’a demandé d’être le sujet de l’une de ses photographies dans le cadre de la Grande Commande de la BNF, j’ai été très touchée mais quelque peu surprise au vu de ce que Marie voulait représenter : les lesbiennes dix ans après le vote du « mariage pour tous ». Cette histoire de mariage n’est pas vraiment mon histoire, même si forcément l’actualité m’a mise le nez dans les dragées, les confettis, et une forte poussée de l’homophobie que rien ne dément depuis.
Mon point de vue sur le mariage m’a fait me mettre en retrait en 2013 ; cela était un choix pour moi, choix que je ne regrette pas. Mais finalement, Marie avait raison : ce choix me donnait un point commun avec beaucoup de lesbiennes pour qui ce n’en était pas un (de choix) : la mise en retrait, l’invisibilisation, l’obligation de supporter l’actualité, la lesbophobie, les propos vexants, les clichés, les agressions… sans rien de ce que l’on est ne soit reconnu.
Au départ, Marie, sans vouloir trahir sa pensée (elle me corrigera si nécessaire) a contacté l’écrivaine que je suis. Dès que nous avons commencé à parler de cette photographie, c’est en judoka que j’ai souhaité être représentée ; je suis si fière de l’être ! Plus fière que d’être écrivaine et d’avoir publié des romans qui, pour certains, ont marqué de nombreuses lesbiennes ? Le temps passe, et les fiertés restent mais se superposent les unes aux autres.
À l’aube de mes 60 ans, être ceinture noire de judo, professeure assistante, et porter une ceinture que mon ami Johnny Delort-Dedieu, double champion de France FSGT, m’a ramenée du Japon, avec mon prénom dessus et l’un des items du code moral (le même que ce blogue) « Yuki, faire ce qui est juste » était ce que je voulais montrer de moi ; une fois encore, être là où l’on ne m’attendait pas.
Alors forcément, sur cette photographie, je suis en kimono avec Johnny en partenaire. Nous avons fait une heure de judo devant l’objectif de Marie ; et voilà cette photographie où nous formons une ronde, lui, un homme hétérosexuel valide de moins de 30 ans, moi, une femme homosexuelle déficiente visuelle de près de 60 ans. Que j’aime ce symbole ! Que j’aime cette image !
En travaillant à cette Grande Commande photographique, Marie n’a pas pu s’arrêter à dix portraits : les lesbiennes sont si nombreuses, si diverses, si uniques ! Il fallait le montrer. Elle nous offre ainsi aujourd’hui un magnifique livre de photographies où sont rassemblés une cinquantaine de portraits de lesbiennes d’aujourd’hui, indispensable œuvre de représentation à fins d’identification et de construction d’une culture commune.
Sur Facebook, Marie publie des témoignages de lectrices ; souvent, elles indiquent combien ce livre leur permet de moins se sentir seules, de se savoir porter par un mouvement collectif, une identité en perpétuelle construction. J’en suis d’autant plus touchée que j’ai reçu les mêmes témoignages au moment de la publication de Once upon a poulette. C’était il y a 25 ans ; les époques se suivent, mais les besoins sont toujours les mêmes. Dire. Montrer. Exister. Être.
La liberté.