Je me rends compte que j’ai récemment utilisé cette formule à deux reprises alors qu’elle ne m’est pas familière. La première fois, c’est à propos de la médaille de bronze de la Ville de Paris que m’a remise Olivia Polski au nom d’Anne Hidalgo le 19 avril dernier ; je vous renvoie au billet « M comme merci » où je l’utilise. La seconde, c’est dans le cadre d’une recherche que je mène actuellement sur le coût des traitements que je prends ; j’ai eu cette phrase « Un comprimé à 250 balles tous les soirs, cela m’oblige. »
Quand ma recherche aura abouti, je ferai un billet. Pour l’instant, il s’agit d’expliciter cette phrase car elle est bien étrange finalement. Je me soigne. Que le comprimé vaille dix centimes ou 250 balles, qu’est-ce que ça change ? Je ne le prends pas en fonction de son prix, mais de son bienfait, ce d’autant plus que je ne le paye pas. Ce dernier argument sonne faux. Je ne débourse aucun argent pour ce comprimé à 250 balles mais la collectivité le débourse pour moi. Je suis partie prenante de cette collectivité ; j’estime donc que ce prix, je le supporte à un titre ou un autre comme tout citoyen.
On peut discuter du fait de savoir si le prix fait la valeur ; au moins dans notre société ultralibérale, c’est le cas. Pour moi, ce qui fait la valeur de ce médicament c’est juste qu’il me sauve la vie. Je ne connais pas le prix de ma vie même si parfois j’en mesure le coût. Ceci étant, en dépit de ma contestation permanente de l’ordre établi, je ne peux ignorer que je baigne dedans sans pouvoir culturellement m’en extraire. Ainsi, savoir que l’hôpital m’a un soir confié une piqûre à 4879,00 euros à faire (seule) à minuit m’a mis un peu la pression : ne pas rater l’injection.
Le prix n’était pas objectivement ma motivation principale. Il s’agissait le lendemain de faire une récolte de cellules souches et, vu le traitement préalable et la séance de récolte, je n’avais pas envie d’y passer plusieurs fois. J’avais une deuxième motivation : en me confiant cette piqûre, qui m’épargnait quelques désagréables séances de soins, le service concerné m’a fait confiance en toute connaissance de mon handicap visuel. Ça, c’est sans doute ce qui m’a le plus touchée.
Et ce qui m’a obligée ?
Oui, très certainement. Et c’est le point commun avec la médaille, le fait qu’elle récompense mon action citoyenne en tant que personne handicapée. Cela pourrait sembler bizarre que, quand on reconnaît que mon handicap non seulement me permet des choses mais en plus peut apporter quelque chose à l’ensemble du corps social, cela m’oblige. Cela montre s’il en était besoin combien l’exclusion des personnes handicapées est prégnante, combien finalement c’est elle qui invalide. De se sentir une valeur humaine, sociale, dans ce contexte est compliqué. C’est un effort de chaque instant, quelque chose qui peut donner l’impression à autrui que je suis un peu fate, un peu trop fière, un peu un imbue de ma personne. Mon humilité, je me la prends dans la figure en permanence ; j’ai tendance effectivement à ne pas trop la partager.
Alors, quand la société reconnaît mon mérite, quand elle débourse une fortune pour me soigner et me donner à vivre, oui, cela m’oblige ; je n’ai pas envie de gâcher cela ; enfin, je suis une citoyenne à part entière, au moins dans ce petit bout de ma vie. J’en profite autant que cela m’oblige ; de cette médaille je (me) dois faire quelque chose à visée citoyenne ; de cette maladie aussi. Yuki !
Oh, je crois que au moins un des « cela m’oblige » avait attiré mon attention.
Comme une petite clochette dans mon cerveau me disant « tient, c’est à explorer ».
Mais je n’ai pas poursuivi la fée faute de temps.
J’en profite pour vous indiquer que votre blog oblige mon cerveau à une certaine vigilance, une sorte de maintien en alerte d’une pensée attentive.
(J’ai du mal avec les mots ce soir, j’espère que vous comprendrez ce que je souhaite exprimer).
Ce n’est pas souvent le cas par ailleurs, et j’aime bien ça.
Merci Vincent, vous êtes toujours très gentil avec moi.