J’ai lu récemment Réinventer l’amour de Mona Chollet. Elle y détaille (entre autres) les stéréotypes raciaux qui nourrissent l’imaginaire des hommes blancs. J’avoue d’emblée que le terme d’imaginaire me semble abusif, trop ambitieux pour ces petits bonhommes qui reproduisent avec tant de conviction les représentations des femmes toutes sphères du machisme confondues.
En ce qui concerne les femmes asiatiques et africaines, les stigmates de la colonisation et de l’esclavage sont particulièrement affligeants (et le mot est faible). Ils se croisent volontiers avec l’ultralibéralisme et la surexploitation des richesses et des peuples de ces deux continents. Je n’ai pas eu le sentiment de véritablement apprendre quelque chose : mais lire le plus abject est toujours utile ; cela permet de ne jamais le banaliser.
C’est dans ce contexte que je me suis intéressée à mon désir de « femmes noires » : serais-je moi aussi un suppôt du patriarcat colonialiste, ultralibéral et esclavagiste ? Je suis une femme blanche de 60 ans (ou presque) qui vit dans un pays occidental et, même si je cultive chaque jour ma conscience politique, je suis forcément marquée par des « préjugés raciaux » liés au privilège blanc. Je n’ai pas pour autant l’impression de les reproduire ou de m’en nourrir. Et j’accepte, bien sûr, d’être prise en défaut.
En 2014, j’ai eu pour la première (et dernière à ce jour) une relation amoureuse passionnée avec une Guadeloupéenne. Cela a été bref, intense, source de beaucoup de souffrance de part et d’autre et m’a laissé imprégnée de moult rêves de révolution (elle était indépendantiste) et un goût prononcé pour les écrivaines du continent africain et de la Caraïbe. Ma « conscience nègre » (au sens de Césaire, bien sûr) a fait un bond prodigieux. Notre convergence politique n’a pas suffi à ce que cette relation se construise dans le temps. C’est la vie (la mienne en tout cas).
Cette rencontre m’a fait prendre conscience que la France est un pays ségrégationniste et que mes relations personnelles reproduisent largement cela. Je fréquente beaucoup de personnes non blanches dans ma vie de tous les jours mais dans ma vie intime, nada : je n’ai pas d’« amies noires » et n’ai pas l’occasion d’en rencontrer. Le milieu LGBT parisien est blanc, le milieu féministe itou ; les partis et groupes politiques que j’ai pu fréquenter sont également très blancs. C’est au judo qu’il y a le plus de non-blancs (mais il n’y a pas de femmes), et paradoxalement dans notre association d’albinos !
Cette histoire perdue, j’ai eu envie (et l’ai toujours) de la reproduire, rêvant de rencontrer une femme non blanche avec la conviction que cela ne pouvait que me faire grandir, en tant que femme et en tant qu’être politique. Dans mon fantasme, cette femme est sportive, libre et capable de me bousculer tout en respectant mes choix d’une vie en mode décroissant et libertaire. C’est donc avant tout une « étrangère » que je désire, et c’est le fait que j’associe cette étrangeté au fait qu’elle soit noire qui interroge gravement mon antiracisme.
Autrement dit, une femme noire ne peut-elle m’être semblable ? Bien sûr que oui ! Et une femme blanche ne peut-elle m’être étrangère ? Mon fantasme bifurque sitôt sur une Espagnole, ou une Latino tant j’associe la langue espagnole à des luttes populaires de haute facture : la guerre d’Espagne, Cuba, le Che, Allende, les Farc… Serait-ce à dire que noire ou pas, étrangère ou pas, je cherche une femme qui incarne des luttes politiques qui tirent mes engagements vers des réalités inconnues, vers des solidarités internationales, vers des combats où mon désir pourrait vaincre les balles ?
Qu’est-ce que j’aurais aimé rencontrer Leïla Shahid dont la voix est gravée dans ma mémoire militante ! Qu’est-ce que j’aurais voulu protéger Dulcie September des balles de ses assassins ! Qu’est-ce que j’aurais voulu partager les combats de Fidan Doğan, Sakine Cansız et de Leyla Söylemez sans que jamais leur sang ne soit versé ! Qu’est-ce que je rêve de rejoindre Olga Bancic dans le maquis et gagner la guerre à ses côtés ! Qu’est-ce que… stop !
Me voilà bien loin des stéréotypes racistes, colonialistes et esclavagistes des hommes blancs ! Bien au contraire, mes fantasmes se nourrissent de luttes d’émancipation, de défense des libertés, de délivrance de l’oppresseur, de destruction de l’ordre libéral et patriarcal, de combats pour l’égalité, de bravoure, de créativité, de rejet de toutes les violences… jusqu’à en mourir ? Non, jusqu’à en être célibataire tant l’obstacle principal à mon désir est que ma situation personnelle réduit drastiquement la probabilité que je rencontre une passionaria à la hauteur des mes idéaux libertaires… et amoureux !
Blanche ou noire, indigène ou étrangère… chacun aura compris que ce n’est finalement pas là la question ; c’est une femme de révolution que je souhaite rencontrer, une qui me fasse rêver, une qui sait que faire l’amour est politique et qu’aimer, c’est donner la liberté. Enjoy !