La Ville de Paris s’est dotée d’une stratégie de résilience depuis quelques années. Je ne peux pas vous en dire grand-chose, le document bilan qui a été distribué à l’occasion de la journée de travail (document pdf) pour la définition d’une nouvelle stratégie n’existe pas en gros caractères. Je vous renvoie donc au site de la Ville de Paris (avec son lot de pdf que je ne peux pas lire non plus) qui m’amène très vite sur une page « Le lien social, au cœur de la stratégie de résilience » avec une illustration photographique qui résume si bien mon propos que je m’y attache.
On y voit deux personnes, en gros plan : un homme jeune et une femme âgée. Qu’est-ce que vous en concluez, là, spontanément sur qui s’occupe de qui ? Sans doute la même chose que moi à l’écoute des intervenants d’un forum de cette longue journée du 19 octobre où des acteurs de la résilience et des Volontaires de Paris (dont je suis) étaient invités à échanger sur ce qui a été fait, et sur l’avenir : la résilience, ce sont des pas-fragiles qui s’occupent des plus-fragiles.
Je passe sur tout ce que cette journée, dans son organisation même (aucune adaptation n’était prévue), transpirait du plus pur validisme. Comment pourrait-il en être autrement dans cette société où « les plus fragiles » sont autant la cible des monte-en-l’air que des pouvoirs publics, une société ségrégationniste qui distingue ceux qui peuvent, de ceux qui ne peuvent pas ? Cela permet à ladite société de ne pas s’adapter, de laisser les personnes handicapées dans la dépendance plutôt que de développer l’accessibilité, ressort essentiel de leur autonomie. Il faut aussi comprendre ainsi la création de la 5e branche dépendance quinze ans après le vote de la loi Handicap qui n’a jamais été appliquée dans son volet accessibilité : on a préféré laisser se développer un marché de l’assistance qui maintient les personnes sous le joug du handicap (et de la société marchande), plutôt que de promouvoir leur émancipation. C’est un choix politique : celui de l’oppression ; et un choix économique : celui de l’ultralibéralisme.
Appliqué à la résilience, ce choix politique (et économique) dépasse l’objet handicap : toute personne considérée comme « fragile » est définie comme passive et il s’agit d’organiser ses approvisionnements, ses soins, ses prises en charge sans se poser une seconde la question de sa capacité d’action. Les bons sentiments s’étalent alors pleine tribune au point que j’ai éprouvé un besoin impérieux de prendre la parole dans les salons de l’Hôtel de Ville ce 19 octobre. J’ai pu le faire, je m’en réjouis sans faire d’hypothèse présomptueuse sur la portée de mon propos tant il était aussi décalé que la couette que j’ai sur la tête (visible à 47 sc de ce film non audiodécrit).
Je me suis présentée comme Volontaire de Paris, titulaire du PSC1, professeure de judo… mais aussi déficiente visuelle, première assesseure basse vision parisienne, et inscrite au fichier Reflex. J’ai expliqué que je suis conjointement dans des situations où je peux sauver des vies et des situations où j’ai besoin que l’on me sauve. Monsieur le chef des pompiers ne s’en est pas remis quand je lui ai dit que c’est le défaut d’accessibilité de son appli qui m’empêchait de répondre à son appel à volontaires et certainement pas mon handicap, sa réponse condescendante l’avérant (« Nous devons toujours nous améliorer », a-t-il dit… pauvre homme suffisant — pléonasme). Et je crains qu’il ne soit pas le seul.
J’ai donc interrogé l’assistance sur la notion de « personne fragile » et fait remarquer qu’il était assez absurde de ne pas les former à leur propre sécurité ce d’autant qu’une fois formées, ces personnes fragiles peuvent aussi participer à l’entraide. Soit dit en passant, c’est déjà le cas : dans mon HLM, ce sont les vieux et les handicapés qui aident les vieux et les handicapés ; pendant les confinements, cela était flagrant et la solidarité inter-personnes-fragiles nous a été pour tous un fort moteur de survie… et de résilience !
L’après-midi de ce 19 octobre, lors des « ateliers », j’ai pu mesurer une nouvelle fois combien résilience bien ordonnée commence par les valides. Les sept personnes autour de la table ont chacun défendu leur bout de gras (leur projet personnel pour le développement des Volontaires de Paris) sans entendre que sortir de l’entre-soi de la communication et du recrutement validistes (j’aurais pu ajouter blancs et bobos) était l’axe indispensable d’une politique inclusive où l’entraide fonctionne dans le partage et le respect de chacun. Il serait trop long d’en faire le détail. Je retiens juste de tout ça que la ségrégation sociale a de beaux jours devant elle là même où une politique de rupture serait véritablement résilience… et que je m’abstiendrai à l’avenir de lui offrir ne serait-ce que ma présence.
— Dommage…
Qui dit ça ? Personne.