Quand le verdict « staphylocoque doré et antibiothérapie de six semaines » est tombé, après un passage au bloc, quatre jours de double perfusion antibiotique, j’ai encaissé sans broncher même si je ne m’attendais pas à si copieux diagnostic et traitement. En dépit d’un « bon pronostic » (l’agent pathogène n’est pas résistant aux antibiotiques), j’ai sitôt pensé, comme la plupart de mes proches, que si ça ne s’arrangerait pas, peut-être que l’on me couperait le pied. J’ai entendu les jours suivants moult histoires confirmant cette issue avec en toile de fond le décès de Guillaume Depardieu.
Je n’ai guère envie de mourir (euphémisme) ; enfant, je simulais beaucoup ma mort en rêves éveillés, pas tant par envie de mourir ; juste pour voir mon enterrement ; cela m’est fort heureusement passé. Mes angoisses de patiente se sont donc catalysées sur l’amputation du pied. D’emblée, j’ai envisagé les choses sous l’angle de l’adaptation (on ne se refait pas) avant que la dureté du traitement ne me fasse petit à petit perdre… pied !
Le voilà donc perdu. Je peux donc le recouvrer et m’interroger un peu plus sereinement sur le pourquoi de cette obsession. Et l’évidence est apparue : Eunice. Eunice ? Elle est le fil rouge de mes cent nouvelles en [e-criture], écrites entre 2013 et 2021. Championne du monde de judo, elle a perdu un pied à l’occasion d’un accident de moto, abandonnant de fait la compétition tout en se reconvertissant en professeure de judo.
« Eunice n’avait rien pu faire bien qu’elle roulait avec la plus grande prudence, évitant avec soin les parties les plus enneigées de la chaussée. Cela avait été sans compter sur ce vélo qui avançait en canard, ne maîtrisant rien de ses embardées. Elle avait donné un léger coup de guidon pour l’éviter ; sa motocyclette était partie de travers avant de rencontrer une plaque de verglas qui l’avait envoyée voler suffisamment haut dans le ciel pour qu’elle percutât le traîneau du Père Noël.
« Le traîneau du Père Noël. Et puis quoi, encore ? Chacun sait qu’il n’existe pas, Eunice comme les autres. Et pourtant. En ce 24 décembre, à la nuit tombée, elle doit se rendre à l’évidence. Son frêle équipage gît à quelques mètres d’un long traîneau qui déborde de paquets enrubannés. Une dizaine de rennes y sont attelés. La scène a l’air de les amuser, surtout la vue de l’homme planté les quatre fers en l’air dans une congère. Il est habillé tout de rouge. Sa longue barbe blanche est remontée jusqu’aux yeux. Est-il blessé ?
« — Non, la rassure un renne, il est juste saoul. On va le laisser là. C’est vous qui venez. Qu’il vous manque un pied est sans importance. (…) »
[#04] L’homme qui titube dans l’Escalator (V-01), 23 mars 2013.
Cette nouvelle, et les cent autres, ne sont plus disponibles en ligne. Si vous voulez lire la suite, vous pouvez me la demander. Quant à mes angoisses de pied perdu, ce ne serait pas la première fois qu’un écrivain ait le sentiment d’avoir écrit l’histoire qui lui arrive. Je ne crois pas au Père Noël pas plus que je n’ai pas le permis de conduire.
Ouf !