Comme beaucoup, je n’ai pas bien dormi cette nuit. J’écris ce billet le vendredi 30 juin 2023, il est 13 heures. J’avais l’intention de parler dès hier des différents commentaires que j’entends autour des « violences urbaines » consécutives à l’« homicide involontaire » commis par un policier dans l’exercice de ses fonctions envers un jeune homme de 17 ans. Je suis terrifiée par ce geste, comme je suis terrifiée par toutes les violences policières que la doctrine française de maintien de l’ordre autorise de plus en plus. Cela va dans le sens d’un autoritarisme incarné aujourd’hui par le ministre de l’Intérieur qui, au nom de l’ordre public (quel ordre public ?), gère la violence sociale à coups de bâtons et de feu.
Cette nuit, le quartier a eu son lot de feux d’artifice et de mortiers ; mon propos s’y incarne. Trois voitures ont été brûlées, le tabac du coin a été vidé de sa marchandise, et la supérette en bas a vu ses deux vitrines cassées et de l’alimentation sortie sur le trottoir. En d’autres endroits, ce sont des mairies, des écoles, des établissements publics, des commissariats, des bus, des tramways, des banques aussi et des commerces symboles de la société de consommation… qui ont été « attaqués ». À mon sens, le point commun de ces objets de violence est que ce sont à la fois des lieux de coercition et d’exclusion. Une coercition idéologique, sans doute, mais exclusion très concrète, très quotidienne, de celle qui fonde la discrimination et creuse les inégalités sociales…
Dans le quartier, la supérette qui a le plus souffert n’est pas n’importe quelle supérette. Depuis sa réfection il y a quelques mois, elle pratique des prix qui empêchent concrètement mes voisins les plus démunis, et ceux qui ne peuvent pas se déplacer (ce sont souvent les mêmes), des personnes âgées ou dépendantes qui vivent des minima sociaux et vieillesse. Ma voisine me disait qu’elle a acheté 2 l d’huile de friture la veille, pour se dépanner, à 8,50 € les 2 l ! Il y avait d’ailleurs ce matin deux bouteilles d’huile d’olive planquées dans la jardinière en bas. Je n’ai pas besoin de 2 l d’huile d’olive, je ne les ai donc pas récupérés. Mais, à l’évidence de ce m’a raconté une voisine syndicaliste qui avait une vue directe sur cette ouverture nocturne de la supérette, l’intention de redistribuer était réelle. Dans la rue, il y avait certes nos « jeunes » et d’autres étaient là, avec cagoule… Et le lieu choisi pour brûler des voitures ne l’a pas été au hasard. J’y reviendrai.
Je n’ai jamais participé à une action violente, et j’ai toujours défendu l’action non violente et la désobéissance civile. L’histoire montre que les révoltes se terminent toujours par une augmentation de la coercition institutionnelle, par l’autoritarisme, par la défiance à l’égard de la démocratie. Je crains aujourd’hui que le libéralisme et ses suppôts à la tête de l’État ne soient les grands vainqueurs de la lutte qui s’est engagée avec un bénéfice politique direct pour l’extrême droite et la droite ultralibérale que représente le président de la République.
Je veux simplement dire ce matin que les hommes (il semble en effet que ce soit essentiellement des hommes…) qui animent nuitamment nos rues et détruisent ce qui nous opprime disent quelque chose de notre société en continuité avec le message syndical autour de la réforme des retraites. Il me semble qu’il appartient aux forces de gauche de les entendre, et de sortir du discours de l’ordre et de la réaction, de cesser de se laisser emporter par la défense du commerce et du libéralisme, d’arrêter de considérer le mobilier urbain comme s’il s’agissait de la Joconde… Le bien commun est à tous, même à ceux qui n’ont d’autre moyen de paroles que de le détruire. Si la gauche n’est pas capable de transformer cette violence en action politique, alors nous aurons définitivement perdu la partie.
Ce matin, tout est calme. On dormira mal la nuit prochaine. Ce n’est pas la guerre. À l’instant où je clos ce billet, un mariage passe bruyamment en bas ; que d’aucuns se rassurent ! l’ordre bourgeois, hétérosexiste, raciste et validiste règne. Arrêtons d’avoir peur et proposons un avenir à chacun. Un projet politique alernatif véritablement anticapitaliste social-écologiste ? Il serait temps.