Fin de vie

Le débat autour de la loi en cours de discussion à l’Assemblée nationale sur la fin de vie ne m’intéresse a priori pas. Depuis longtemps, mon opinion est faite : je suis favorable à la légalisation de l’euthanasie. Il y a quelques années, j’aurais été plus radicale, revendiquant pour moi-même le droit à l’euthanasie en cas de maladie incurable provoquant souffrances et infirmités. Mon opinion faite depuis longtemps a donc déjà pris un peu de plomb dans l’aile car je ne sais pas aujourd’hui si je revendique l’euthanasie pour moi. J’ai rédigé mes directives anticipées depuis plusieurs années déjà, et la seule chose que j’y demande c’est de ne pas souffrir physiquement et psychiquement. Celles-ci ne s’appliquent que si je ne suis plus en mesure de décider par moi-même. Et si je devais décider, en toute conscience… je me gratte copieusement la tête.
Je suis de plus en plus attachée à l’idée de vivre quel que soit mon état physique et mental. Je m’oppose par principe à l’acharnement thérapeutique sans être véritablement capable de le définir. Il en est de même de la souffrance mentale. J’ai constaté, par exemple, l’évolution d’une personne malade d’Alzheimer. Le temps que la maladie s’installe, cette personne était en grande souffrance par la conscience de ce qui était en train de se passer. Par contre, depuis que la maladie est installée, je n’ai pas l’impression que cette personne souffre. Elle est dans un autre monde et la voir ainsi peut me faire souffrir moi ; mais elle ? Je ne sais pas.
Reste la souffrance physique et l’invalidité. Je connais la seconde par ma déficience visuelle. J’ai pu ces derniers temps appréhender la première à travers la chirurgie qui a précédé le traitement de ma maladie, puis par le traitement même de cette maladie. Je sais aujourd’hui que cette douleur, ces douleurs, seront mon lot tout le temps, que j’espère très long, que j’aurai à vivre. Est-ce une raison pour que je décide de ne plus vivre ? Certainement pas ! Mais sans doute qu’il y a des souffrances physiques plus insupportables…
Je suis très attachée à l’idée que chacun puisse décider si son état de santé est compatible avec l’existence qu’il souhaite mener. Je remarque que mon niveau d’exigence à l’égard de la vie n’est pas le même (ni plus ni moins, juste autrement) au fil des effets secondaires et des séquelles des traitements. J’entends beaucoup dire dans les débats autour de cette loi sur la fin de vie que plus les malades sont accompagnés, notamment dans la gestion de la douleur physique, plus leur souhait d’en finir diminue. Je n’ai aucun élément pour en juger. Cet argument est porté par des personnes qui ne veulent pas voir s’ouvrir un droit à l’euthanasie. Ces personnes ne sont pas dans « mon camp politique ». Aussi, je ne me mêle pas trop de ce débat, ne souhaitant pas désavouer mes camarades.
Pourtant, ne devrais-je pas le faire à l’aune de mon expérience et d’autres points de vue que je lis de plus en plus de la part de personnes handicapées que je suis sur X. Celles-ci font remarquer que cette revendication d’un droit à l’euthanasie emporte beaucoup de relents validistes : elles insistent sur le fait que c’est une revendication de personnes valides en bonne santé qui ont une certaine représentation de la maladie et du handicap. On peut valablement comprendre qu’une personne valide et en bonne santé considère comme insupportable d’être malade et handicapée. Doit-elle pour autant en faire loi ?
Cette objection de personnes handicapées est tellement « énorme » que j’ai eu du mal à l’intégrer. Une petite musique pourtant tourne dans ma tête depuis quelques semaines déjà et je me dis que la revendication d’un droit à mourir renvoie à la représentation que les personnes valides et en bonne santé ont des personnes handicapées et/ou malades. Je remarque néanmoins que les opposants à l’euthanasie n’ont pas forcément une meilleure représentation du handicap et de la maladie… Alors ?
Je ne trancherai pas le débat. Je ne sais pas s’il est véritablement possible de le trancher. Je dois bien admettre pourtant que ma balance penche de plus en plus du côté de la vie à tout prix. Je respecte le désir de celles et ceux qui revendiquent l’euthanasie mais il me faut alors faire confiance en l’institution médicale car l’argument suprême contre cette loi fait particulièrement mal : il y a quelques jours, un centre pour personnes handicapées a été attaqué en Allemagne, un pavé a été lancé à travers une fenêtre, pavé où il était écrit : « L’euthanasie est la solution. » Je ne peux pas imaginer que ses partisans l’envisagent ainsi mais je peux comprendre que l’histoire donne aux personnes handicapées l’argument de le craindre. Entre les deux… la vie est en balance.

 

One thought on “Fin de vie

  1. C’est un sujet des plus difficile. Je n’arrives pas à me faire une opinion moi-même.
    Je constate cependant qu’il y a une demande, énorme en fait. Peut-elle être ignorée. Ce ne peut pas être une lubie, une folie.
    … Mais votre billet ajoute une nouvelle question : est-ce que ce besoin viens réellement, ou essentiellement, des personnes directement concernées ?
    Et puis, ce qui m’inquiète le plus, est le risque de dérives.
    Il m’est impossible de me faire un avis tranché.

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