À quinze jours de la rentrée scolaire, le débat fait rage autour des fournitures scolaires et de l’allocation de rentrée versée par la CAF. Il semble cette année que la polémique autour de l’utilisation réelle de cette allocation par les familles se soit un peu tassée. Par contre, comme par enchantement, le prix de ces fournitures vient de flamber, sans doute parce que la contre-offensive ukrainienne n’est pas à la hauteur de nos attentes. Des associations de parents proposent une prise en charge publique de ces fournitures. Sauf erreur de ma part, c’est le cas en primaire dans de nombreuses communes. La question se pose plus pour le secondaire et me ramène en l’an de grâce 1975 lorsque je suis entrée en sixième.
Au soir de mon premier jour de collège, j’ai présenté à maman de longues listes de fournitures : des petits cahiers x pages à grands carreaux, des gros cahiers x pages à petits carreaux, des cahiers à spirale, des rouges, des verts et bleus et pas l’inverse, des petits classeurs, des grands classeurs, avec des feuilles perforées, avec ou sans intercalaires, je passe sur les stylos et crayons à mine, souvent avec une marque définie, couleur imposée, et de toutes les petites fournitures de bureau règles (une carrée, une plate, 20 cm, 30 cm, un réglet de 50 cm), compas, rapporteur, gomme, ciseau, colle, etc.
Quand maman a vu ces listes, j’ai cru qu’elle allait défaillir. Elle a sorti notre stock de papeterie qui était conséquent à la maison car nous étions tous de grands utilisateurs de l’écrit. Elle en a trié le contenu, a mis de côté tout ce qui pouvait ressembler au mieux à la liste, et m’a dit que ça irait très bien comme ça et que nous compléterions au supermarché avec des lots puis dans l’année en cas de pénurie. J’étais assez d’accord avec elle sur le principe ; je lui ai néanmoins fait que remarquer que c’était moi qui devrai demain et les jours suivants affronter mes professeurs si à cheval sur le respect de leur liste. Maman a donc écrit un mot dans le cahier de correspondance en indiquant que c’était sa décision et qu’il était hors de question que je respecte ces directives qu’elle estimait démesurées.
Maman a fait un certain nombre de choix contraires aux usages au cours de ma scolarité mais est toujours allée au bout de ses choix en me soutenant dans leurs conséquences (allant jusqu’à faire des heures de colle à ma place). Je ne sais plus la suite de cette histoire, si ce n’est que je n’ai jamais entièrement cédé aux exigences en matière de fournitures scolaires. J’en ai discuté hier avec Johnny qui, en plus d’être double champion de France FSGT de judo, est agrégé et enseigne dans un lycée parisien. Il m’a dit qu’il n’avait aucune exigence vis-à-vis de ses élèves qui pouvaient écrire sur le support qu’ils voulaient dans la couleur qu’ils voulaient ; il leur demande simplement de pouvoir vérifier la qualité de leurs prises de notes.
À en discuter ainsi, je me suis dit que, en fin de compte, il s’agit là d’un problème politique : un·e professeur·e, en exigeant dès le premier jour une liste de fournitures excessivement précise de laquelle il est interdit de déroger sous peine de sanctions, cherche avant tout à poser son autorité voire son pouvoir sur sa classe. Je sais que c’est une question difficile, et gérer une classe n’est pas quelque chose de facile. De là à enrichir les industriels de la fourniture scolaire en s’en servant comme moyen de contrainte, il n’y a qu’un pas… que je ne trouve pas très brillant ! L’école est un lieu de savoir et d’intelligence ; elle est aussi un lieu de pouvoir, de coercition et de reproduction sociale. Althusser ne me démentirait pas.