Le décès de Louis Mexandeau le 14 août dernier me ramène à un souvenir de mes jeunes années militantes au parti socialiste ; sans doute les meilleures. C’était en 1986, je venais d’adhérer après la défaite aux législatives, considérant qu’il m’appartenait, moi qui étais trop jeune de quelques jours pour voter pour François Mitterrand en mai 81, de relever le gant et de faire gagner la gauche. Pour mémoire, j’ai quitté le parti socialiste après avoir avalé moult couleuvres en 2002 alors que Lionel Jospin, candidat à la présidentielle, a déclaré : « Mon projet n’est pas socialiste. »
À l’été 1986, la fédération de Paris a organisé une commémoration des cinquante ans du Front populaire et des premiers congés payés. Un train partait pour la journée de la gare Saint-Lazare en direction des plages de Normandie. Nous sommes passés à Lisieux où Yvette Roudy nous attendait avec une fanfare sur le quai avant de monter dans le train. Je ne connaissais personne, mais j’étais contente d’être là, entre présent et histoire, convaincue de la prochaine victoire.
De mémoire, le train s’est arrêté à Caen. Nous en sommes tous descendus et nous attendaient des vélos et des cars. Les vélos symbolisaient ces Parisien·nes qui les avaient utilisés pour aller jusqu’à la plage. Les cadres socialistes présents sont montés sur des vélos, j’ai préféré le car, n’étant pas très à l’aise sur un vélo. Nous roulions au pas à la suite de nos vaillants cyclistes quand l’engin de Lionel Jospin, alors premier secrétaire, a crevé. Un homme lui a laissé son vélo et est monté dans le car.
J’étais seule à ma place, il s’est assis à côté de moi engageant sitôt la conversation avec gentillesse et prévenance. Il m’a demandé d’où je venais et je lui ai raconté mon parcours jusqu’à mon adhésion et jusqu’à prendre ce train. Je lui ai posé quelques questions auxquelles il a répondu de manière souvent laconique, préférant s’intéresser à mon parcours. La conversation a duré, les vélos ne roulaient pas très vite.
Nous sommes arrivés à Hérouville-Saint-Clair où la municipalité nous avait préparé un apéritif et quelques discours. C’est alors que j’ai vu mon compagnon de voyage monter à la tribune et prendre la parole : ce n’était autre que Louis Mexandeau, député du Calvados et ministre sortant. C’est ça d’être bigleux, on peut parler plus d’une heure avec un homme connu, reconnu, et soi-même ne pas du tout le reconnaître s’il ne donne pas d’indications sur qui il est. C’est comme ça avec Louis Mexandeau, et c’est comme ça avec vous quand je vous croise dans un bar, dans la rue…
J’ai réussi à le retrouver dans la foule (j’y ai mis beaucoup d’énergie) pour m’excuser ; à l’époque, je ne parlais pas de ma déficience visuelle, je considérais qu’il m’appartenait d’y pallier, seule, en mode combattant. J’avais 23 ans. Il a continué à être prévenant, refusant mes excuses et me disant quelque chose de tellement gentil que j’ai envie de croire que c’était vrai : il m’a dit que depuis cinq ans qu’il était ministre, personne dans un contexte militant ne s’était adressé à lui normalement, chacun voulant plaire ou faire avancer un dossier ; le fait que je ne l’ai pas reconnu a été pour lui un moment d’une simplicité perdue.
Je me souviendrai toujours de cette remarque, et quand je suis avec des élu·es, des ministres, leurs cabinets, sauf si bien sûr c’est l’objet de la rencontre, j’essaie de ne pas trop évoquer leur délégation, et de ne jamais rien demander. Ce n’est pas toujours facile, mais j’essaie. Cela me fait penser qu’il y a quelques jours, j’ai rêvé que je rencontrais la maire de Paris, Anne Hidalgo et que je lui expliquais qu’elle avait gagné mon soutien le jour où j’avais vu une vidéo où elle cuisinait des pois cassés. Si je la croise prochainement, je ne manquerai pas d’aborder le sujet. Quant à Louis Mexandeau… Si le paradis des socialistes existe, il y a sa place avec Tonton.
PS (post-scriptum, bien sûr) : Après l’apéritif, il y a eu un déjeuner républicain où je me suis fait piquer mes papiers pour la seule et unique fois de ma vie. J’aurais dû me méfier…