J’étais dans un bus, le 62 ; c’est un modèle double à soufflet. Les places réservées PMR sont en général à l’avant des bus ; ce sont quatre places basses avec un bouton d’appel particulier. Dans ce modèle (ce ne sont pas les mêmes aménagements intérieurs sur chaque ligne), il y a une seule place à l’avant et il faut se rendre à l’arrière du bus pour trouver ces places. Je n’y suis jamais allée, ignorant avant de monter quel sera le modèle de bus. Le bus redémarre ; avec mes vertèbres opérées, je ne prends pas le risque de circuler dans le bus quand il roule.
Ce jour-là, quand j’arrive vers l’unique place, une dame est assise. Une canne, une poussette de marché. Je m’apprête à aller me caler debout dans un coin quand elle m’interpelle.
— Excuse-moi, j’ai une carte de Priorité, c’est difficile…
Je la rassure. Elle m’indique la place derrière elle, en hauteur. Je lui réponds que je ne suis pas sûre de pouvoir descendre. Elle me promet de l’aide. On blague, sympa. Je m’assois.
Deux arrêts plus tard, une dame âgée arrive, guillerette. Sans un bonjour, elle demande à la dame sur la place PMR de se lever. Celle-ci sort sa carte Priorité (ce sont des onglets sur ce même lien qui permettent de voir les infos sur les différents types de carte ; je vous dis car j’ai eu du mal à trouver). La dame âgée dégaine la sienne, une CMI-Invalidité.
— 80 % ! c’est plus fort !
La dame assise se lève et vise de l’autre côté de l’allée une place en hauteur. Je l’encourage de mots gentils, sans me gêner de casser la vieille dame. Caddie me souffle dans l’oreillette de sortir ma CMI-Invalidité-Cécité, encore plus forte !
— Parfaitement !
Non Caddie, ce n’est pas parce que la vieille dame se comporte mal que cela m’autorise à le faire. Et je suis judoka, je peux m’adapter en augmentant ma vigilance. Mais j’explique à la dame gentille la « hiérarchie des cartes », évoquant la mienne en parlant suffisamment fort pour que la vieille dame entende bien (si elle n’est pas sourde, bien sûr ; l’âge aidant…).
C’est mon tour de descendre. À la station d’avant, je remets mon sac à dos, me saisis de la barre de maintien, m’appuie de l’autre main sur ma canne, attendant bien sûr que le bus soit à l’arrêt pour bouger. La dame gentille me propose son aide ; elle a eu du mal à monter sur sa place ; je décline en indiquant que le monsieur qui est là va m’aider et que je suis judoka. Elle rit. Le bus roule encore. Le monsieur se tourne vers moi.
— J’attends l’arrêt. Je sais faire une chute avant mais je risque de tomber dans vos bras.
Il rit et m’assure de sa collaboration. À l’arrêt, il se décale pour m’observer. Je descends. Il écarte les voyageurs pour que je puisse passer. La dame gentille m’encourage. On se souhaite une bonne fin de journée. Et la vieille dame ? Je ne sais pas. Je ne l’ai pas vue partir. Comme me dit Sarah, « Tu ne connais pas son parcours » ; en effet. Mais je connais le mien. J’espère ne jamais me comporter comme elle. La réponse dans vingt ans.
Je suis certes prédisposé au spleen aujourd’hui, mais cette histoire m’a ému (à plusieurs titres mais pas de transport) plus que je ne saurais l’exprimer.
Si vous trouvez, Vincent, vous me direz.
J’aime que les gens dans le bus ou ailleurs se parlent, c’est une occasion de se comprendre, de partager quelques mots, informations, sourires, de prendre soin les uns des autres. J’aime aussi ce que vous dites sur le fait de ne pas se conduire « mal » même si les autres le font. J’aime votre façon de faire, de dire, d’être en alerte contre plein d’injustices, d’incivilités, petites ou grandes.
Vous me dites des choses très gentilles ! Merci.