La vie de malade m’a éloignée de mes activités par clavier interposé. J’y reviens petit à petit, renouant avec le travail d’écriture au-delà des billets en Hétéronomie. J’ai aménagé mon poste de travail afin de ménager mes cervicales de toute façon contraintes par un bel enchevêtrement de plaques et de vis. J’utilise également de plus en plus le mode Dictée mais l’on n’écrit pas la même chose quand on dicte et quand on saisit du texte au clavier.
Je n’en suis pas à avoir repris l’écriture mais j’ai été sollicitée sur des petites choses, notamment la mise en forme et la correction de textes que je signe. J’ai ainsi eu des échanges agréables avec Flora Bolter pour la publication de ma nouvelle dans l’ouvrage collectif Mariage pour tous, la violence d’une conquête. Quelques semaines plus tard, j’ai été sollicitée pour relire des morceaux choisis (pas par moi) d’un long entretien que j’avais eu il y a un an. Ces immersions loin de mon quotidien très médical me réjouissent, elles sont une respiration, une énergie qui me permet de me sentir vivante. Ce que je suis.
J’avais malheureusement oublié combien ce qui est en jeu dans la correction d’un texte peut largement dépasser son auteur, chaque partenaire investissant son intimité, ses choix politiques, son rapport au monde… au point qu’une simple relecture peut virer au tour de force, l’auteur étant systématiquement accusé (toujours à demi-mot) d’être imbu de son langage, de sa pensée, incapable de se remettre en cause, altier par nature. Plus ses interlocuteurs sont des amateurs, plus l’affrontement est violent, les professionnels de l’écriture n’ayant rien à défendre contrairement aux apprentis de l’édition qui ont une légitimité à construire.
Je me suis ainsi retrouvée, plusieurs fois, à devoir vérifier mot à mot un texte soi-disant corrigé à la marge mais qui recelait des interventions qui en modifiait le sens (coupures, reformulations…), avec des outils qui ne sont pas les miens, sans grande considération pour la difficulté de lecture inhérente à ma déficience visuelle. Je dois à ma seule expérience de m’être rendu compte de ces corrections qui étaient loin d’être innocentes et de résister à des arguments d’autorité sans consistance (pléonasme). J’ai choisi comme mode de résistance de supprimer les passages que l’on me contestait, toute discussion avérant mon impéritie notoire. Le texte s’est petit à petit vidé de sa substance ; j’assume ce choix ce d’autant que j’étais déjà loin de me reconnaître dans les morceaux choisis au départ ni dans la recomposition proposée.
J’ai aujourd’hui autre chose à faire qu’à servir de « terrain de je » et j’ai suffisamment publié dans ma vie pour que chacun soit en mesure de rencontrer l’expression littéraire de mon intimité et de ma pensée si cela l’intéresse. Tant pis pour le projet éditorial concerné, je n’en représente pas grand-chose, je reste à pas grand-chose. Par contre, mes cervicales sont un peu moins généreuses que moi face à ce que j’ai vécu. Ces échanges, qui m’ont demandé un grand effort visuel, ont révélé que je dois faire attention à ne pas m’arcbouter sur mon clavier et que la concentration nécessaire à la résistance au caviardage déguisé n’est pas bonne pour mon rachis.
Autrement dit, mon état général aujourd’hui, même s’il s’améliore de semaine en semaine, ne m’autorise plus à travailler du texte dans un contexte tendu. Je me suis fabriqué une minerve souple pour ne pas oublier de ne pas trop m’enrouler sur les épaules quand je suis au clavier mais je sais que cela ne sera pas suffisant si je ne prête pas attention à la bienveillance de mes interlocuteurs.
Vous êtes nombreux à me demander régulièrement où j’en suis avec l’espoir de voir éditer un nouveau roman. J’ai quelques textes dans mon ordinateur — dont un qui a été refusé il y a un an par mon éditeur canadien que je quitte petit à petit — qui peuvent prétendre à publication. Mais moi, au vu de l’expérience de ces dernières semaines, quand je vois l’énergie que j’ai dû mettre sur un texte qui fait une petite page pour finalement accepter qu’il ne ressemble à rien, je me dis que cela n’en vaut pas le prix.
J’ai tant de belles choses à faire plutôt que de me prendre le chou avec des personnes qui ne font pas autre chose que de sucer la créativité d’autrui pour exister… je vais donc continuer à écrire, et j’espère renouer avec un ou deux textes qui me font de l’œil. Pour la publication, il va falloir attendre, soit que je rencontre des professionnels avec qui je me sens capable de travailler, soit que d’autres se chargent de défendre mes intérêts littéraires. Désolée chers lectrices et lecteurs, ce n’est pas gagné !