[réédition]
Cy Jung®, Édito, cyjung.com, 30 mai 2013.
Enfin ! Enfin la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe a été votée par le Parlement et promulguée par le président de la République. Enfin ? Oui, enfin ; car après des mois de silence forcé par les circonstances — il était hors de question que mon propos soit instrumentalisé par les homophobes de toute engeance, grands spécialistes de la défense chafouine de la domination masculine dont l’homophobie est aussi un ressort —, je m’autorise à dire ce que j’en pense, de ce foutu mariage. Enfin.
Celles et ceux qui suivent mes écritures ne seront pas étonnés de ma position qui se résume à ceci : le mariage, qu’il unisse deux personnes de sexe différent ou de même sexe (peu me chaut !), est une institution hétérosexiste coercitive qui a pour fonction politique unique et première d’organiser la domination masculine dans l’ordre patriarcal et capitaliste. Je sais, cela fait beaucoup de gros mots en une seule phrase. Mais comment m’exprimer autrement ? Et pourquoi ? Parce que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe serait une « avancée sociale », la « reconnaissance de nos amours », le « plus beau jour » de l’égalité des droits ?
Mais que croyez-vous ? Que l’État et la représentation nationale ont quelque chose à faire des amours des uns et des autres, qu’ils ont « bon cœur », qu’ils défendent les opprimés et sont les pourfendeurs inconditionnels des discriminations ? Si c’était le cas, les Roms ne seraient pas persécutés, les personnes handicapées auraient un réel accès à tous les lieux publics et aux emplois, les étrangers extra-communautaires auraient le droit de vote aux élections locales, l’égalité salariale et la non-discrimination à l’égard des femmes, des handicapés, des « d’origine », des « différents » de tous horizons, seraient une réalité, les personnes en détention seraient incarcérées dans le respect de la dignité humaine, les services publics ne seraient pas démantelés, la réduction de la dette ne se ferait pas sur le dos des classes moyennes et des plus pauvres, 13,5 % de la population française ne vivrait pas en dessous du seuil de pauvreté, etc. etc. etc.
Non, cet accès au mariage aux couples de même sexe, et l’adoption qui va avec, n’a d’autre objectif que de mettre un peu plus d’ordre dans notre douce France, d’ouvrir un peu plus de lignes de crédits dans les banques, de permettre la transmission des patrimoines, de paupériser donc d’asservir celles et ceux qui cèdent aux mirages de la société de consommation… Dans les années 70, un mot était à la mode : « embourgeoisement » ; aujourd’hui j’ai l’impression d’utiliser un archaïsme alors qu’il est justement question de cela. Et au-delà de l’élargissement aux homosexuels des bases légales de cet embourgeoisement institutionnel, le mariage demeure, quoi que certains veuillent nous faire croire, le premier lieu de l’oppression des femmes : travail gratuit, violences conjugales, dépendance économique.
On me rétorquera peut-être qu’entre personnes de même sexe, une telle oppression ne peut exister. Dans l’absolu oui, et j’en avais fait l’argument principal d’un article que j’avais publié dans feu Ex Eaquo en 1998 et dont je ne retire pas une ligne. Mais dans les faits, comment comprendre la volonté de se marier quand la violence inhérente à cette institution est avérée ? Pour payer moins d’impôts ? Pour donner un statut à ses enfants, à son conjoint ? Soit. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour se faire croire qu’il s’agit alors d’amour et donner corps à la domination masculine en épousant, non celle ou celui que l’on aime, mais son plus cher allié ?
Quant à l’égalité des droits… La revendication est bien sûr plus que légitime ! Et c’est d’ailleurs sur cet argument que j’ai soutenu les manifestations « pour l’égalité » sans me priver de quelques réserves. Mais pourquoi n’avoir pas fait preuve d’un peu d’imagination, l’avoir portée au pouvoir et proposé des solutions qui ouvrent une véritable égalité des droits : fiscalité identique pour les célibataires et les couples, qu’il s’agisse de l’impôt sur le revenu ou de la transmission du patrimoine ; processus de filiations identiques pour tous les enfants quels que soit leur mode de naissance ; droits économiques et sociaux attachés à la personne et non à la famille…
Et le mariage alors, on en fait quoi ? À l’évidence, on le supprime pour tous, hétéros et homosexuels. Laissons les Églises s’occuper d’amour si tant est qu’elles en soient encore capables et défendons nos droits. Juste nos droits. Et notre désir aussi. Ne le laissons pas se dissoudre dans la domination masculine. Construisons ensemble une société qui ne transforme pas le droit en institution, qui renonce à la violence, qui ouvre des espaces de liberté et rompt avec la logique de consommation de masse qui est en train de tuer tous nos espoirs d’une vie meilleure !
Une vie meilleure ? Oui. Changer le monde ? Quelque chose comme cela, un monde exempt de la domination masculine, un monde exempt de tout système d’oppression, un monde où l’être vaut tous les avoirs… Vous n’y croyez pas ? Je peux le comprendre mais, de grâce, épargnez-moi vos mariages hétéros ou homosexuels. Cela me fera plaisir.