J’ai déjà consacré un billet à la loi en cours de discussion sur la fin de vie et le « droit à mourir ». Depuis, je suis un peu plus attentive au sujet et ma conviction est de plus en plus forte que cette loi est validiste ne serait-ce que parce qu’elle est discutée par des personnes en bonne santé qui produisent un discours sur la maladie et le handicap. Il est évident que la représentation qu’ils en ont n’est pas très positive : je peux comprendre que, sans réfléchir, on considère qu’être en bonne santé et sans aucune entrave à son action physique et mentale est le nec plus ultra (surtout si on vit dans un pays occidental avec un niveau correct de revenu). Mais ce sentiment, quand il s’agit de l’intérêt général, doit être interrogé.
C’est ce que fait entre autres Elisa Rojas dans un long interview que je vous recommande. Je ne discute pas son propos, il appartient à chacun de le faire. La seule chose que je voudrais souligner c’est un petit aparté qui m’a chatouillé l’intelligence. Elle indique qu’en matière de suicide pour une personne en bonne santé, la société considère qu’elle est libre de le faire. Mais quand une personne malade ou handicapée interroge la mort, on ne parle plus de liberté, mais de droit, créant ainsi une inégalité.
J’ai demandé à Isabelle de m’expliquer la différence entre une liberté et un droit. De ce que j’ai compris, la liberté c’est ce qu’il n’est pas interdit de faire. Il n’est pas interdit de se suicider. Le droit, c’est quelque chose qui est opposable : si j’ai le droit de manifester, cela veut dire que l’État doit me donner les moyens de manifester, notamment en assurant ma sécurité. Il en est de même pour le droit à mourir. Si c’est un droit, l’État doit me garantir l’exercice de ce droit, surtout si je n’en ai pas les moyens physiques ; donc le suicide assisté.
Au-delà de cette différence purement juridique, je remarque qu’en matière de suicide, c’est-à-dire de liberté de mourir, la puissance publique développe un discours et des actions de prévention : sauvons les travailleurs en bonne santé ! En matière d’euthanasie, étrangement, si je puis dire, il semble que l’État considère que c’est suffisamment important de pouvoir mourir qu’il faut que ce soit un droit sous-entendu effectif.
À l’appui de cela, beaucoup de personnes invoquent la souffrance, moi la première. Les opposants à la loi sur l’euthanasie, et je ne parle pas des catholiques réactionnaires, expliquent que la souffrance peut être prise en charge. Quant à l’invalidité… Je vous renvoie de nouveau à mon précédent billet ; vivre ; j’en ai le droit ; et la liberté.