En novembre 2021, j’ai fait une demande écrite à la Ville de Paris d’un certain nombre de mises à niveau de l’accessibilité numérique de ses supports. J’en avais un peu marre de devoir demander systématiquement des documents dans un format lisible avec des réponses hypothétiques et de me heurter à des images et cartes illisibles. Le déclencheur a été les consultations autour du Plan local d’Urbanisme. J’avais tenté de passer par le médiateur de la Ville de Paris, de faire une demande au référent Cada de la Ville, écrit à des chef·fes de service, était intervenue dans des réunions publiques… En vain.
Deux mois plus tard, ce courrier était resté sans réponse. J’ai considéré que c’était l’occasion de saisir le tribunal administratif du défaut d’accès-accessibilité numérique et de la rupture d’égalité qui s’en ensuit. J’avais entendu dire que ce n’était pas si compliqué que cela. Sous réserve de l’accessibilité de la plate-forme, la procédure n’est effectivement pas si complexe, ce d’autant que j’ai senti de la part du greffe une certaine bienveillance.
Je passe sur les deux ans de procédure et les différents rebondissements ; mon billet pourrait faire plusieurs pages. Au terme de ces deux ans, j’ai été informée d’une audience le 28 mars 2024. Je m’y suis rendue, accompagnée de Frédéric, un peu fébrile tant celle-ci était importante pour moi. D’emblée, je pensais que le tribunal n’accéderait pas à ma demande dans la mesure où les questions d’accessibilité ne sont pas dans son champ de compétence. La Ville de Paris n’avait pas invoqué ce moyen. J’étais d’autant plus intriguée.
Lors de cette audience, où mon « affaire » est passée en dernier car je n’étais pas assistée d’un avocat (dixit des habitués de cette juridiction), j’avais été surprise par le point de vue de la rapporteuse qui n’a fait aucune mention de mes conclusions en réponse où je détaillais de manière plus technique et juridique les manquements de la Ville que je ne l’avais fait dans ma requête. En ce qui concerne le simple affichage d’informations très explicitement définies dans le RGAA, elle s’est contentée de lire le pied de page du site de la Ville et de dire que tout allait bien alors qu’à l’évidence il ne respecte pas les obligations légales. Elle m’a donné l’impression de méconnaître totalement le sujet et de ne pas avoir lu mes conclusions.
Le jugement est tombé quatre semaines plus tard. Le juge, après citation de divers textes en vigueur, a conclu « En l’espèce, il n’est pas démontré que le site internet de la mairie de Paris ne serait pas accessible aux personnes handicapés (sic) telles que Mme Jung. » Les bras m’en sont tombés. J’avais pourtant eu l’impression d’avoir tout détaillé, tout expliqué… Et j’avais fait attention à ne pas noyer mon interlocuteur, en l’espèce le juge administratif, dans des conclusions bavardes. À chacun de mes arguments, j’avais mis un lien sur la référence juridique, un point du RGAA, son explication par des experts…
Renseignements pris, mon souhait de faire concis n’était pas la bonne option. J’ai lu récemment un mémoire au Conseil d’État sur une question prioritaire de constitutionnalité. J’ai remarqué que chaque fois qu’un texte est cité, la citation est copiée-collée. Si ce texte est cité plusieurs fois, la citation est refaite plusieurs fois. Et finalement, 90 % de ce mémoire est constitué de citation, de copier-coller donc. Une personne bien intentionnée m’a alors expliqué qu’il s’agit là d’éviter aux juges de suivre des liens externes, ceux-ci préférant ne consulter qu’un seul document. Quitte à ce que celui-ci soit volumineux et multiplie les citations répétées ? Quitte, en effet. On m’a soufflé que cela permet de justifier les honoraires des avocats ; je ne peux y croire.
Je n’aurais sans doute pas obtenu un jugement favorable même si j’avais su cela et cédé à ce formalisme. Je me demande un mois plus tard si finalement ce jugement n’est pas une bonne chose car il ne donne aucun avis sur le fond : vu l’incurie du tribunal, c’est sans doute mieux comme ça. Il ne fait que dire que je n’ai pas été une gentille justiciable à ne pas lui mâcher le travail. Il en a beaucoup, le juge, du travail ! Mais il me semble avoir fait la démonstration qu’il n’est pas bon de se présenter devant lui en simple citoyen·ne sans avocat qui ignore les us et coutumes d’un entre-soi préjudiciable, à mon sens, à l’idée même de justice.
Je l’avoue volontiers, je suis amer, parce que je croyais que le tribunal administratif était une grande juridiction au service des bonnes relations entre l’administration et les administrés. « En l’espèce, il fait la démonstration du contraire. » J’ai l’impression aujourd’hui d’avoir fait perdre son temps à tout le monde, à moi la première. J’ai perdu aussi une illusion et c’est cela sans doute que je ne pardonnerai jamais au tribunal administratif de Paris : ne pas avoir pris en compte mes arguments sous le seul prétexte qu’il y avait une vingtaine de clics à faire sur des hyperliens. C’est minable.
NB. Pour signaler des défauts d’accessibilité numérique, l’Arcom est aujourd’hui compétente.
Du coup, tu vas continuer comment pour avoir gain de cause ?
Je vais continuer autrement.
Pour cette procédure, il faudrait un recours en cassation si tant est qu’il soit possible d’invoquer un moyen de droit que le TA aurait bafoué (je n’en vois pas). Par ailleurs, la cassation = un avocat = beaucoup d’argent = trois ans de procédure. Je lâche donc l’affaire.
Je vais faire des signalements à l’Arcom au gré des difficultés que je rencontre.
Et je vais continuer à faire de l’agit’prop auprès des agents et élus de la Ville qui sont réceptifs à ces questions.