Recouvrer le désir

Dans des circonstances dont je reparlerai, une des deux plaies de ma cheville cassée-réparée-libérée s’est rouverte et infectée. Après un simple coup d’œil, le chirurgien a programmé une opération à 48 heures, avec hospitalisation de huit jours pour antibiothérapie. Je m’attendais un peu au bloc, pas franchement à l’hospitalisation. L’objectif était de me garder sous antibiothérapie à spectre très large le temps d’identification du germe et décision de la suite.
J’ai donc annulé tous mes rendez-vous pour les dix jours à suivre et me suis présentée bien lavée et équipée pour une bonne semaine en mode survie à jour et heure dite. Je n’avais évidemment que peu d’informations sur les us et coutumes de l’antibiothérapie… et de ses conséquences. Mon passage au bloc a été le plus agréable ; j’ai retrouvé le super anesthésiste qui était présent lors de la première intervention ; son empathie m’a touchée au cœur. L’arrivée en hospitalisation a été plus compliquée, forcément… et la suite, difficile.
En serrant les dents, j’ai découvert les affres de la double perfusion avec des produits qui brûlent les veines, l’attente d’un résultat de culture (quatre jours), le choc du diagnostic et du traitement (staphylocoque doré, antibiothérapie de six semaines et suivi à long terme), la peur des effets secondaires et des conséquences métaboliques, la fragilité du patient face aux soignants augmentée par ma déficience visuelle, le retour à la maison avec la pesante solitude face aux douleurs et sensations inconnues, l’extrême fatigue, la perte d’appétit, les soins qui s’enchaînent, les lombaires qui crient misère et le genou qui se rappelle à mon souvenir…
Et j’ai fini par craquer.
Il y avait pourtant les amis chers, Isabelle et Sarah, présentes à chaque instant, attentives à tout, remarquables, Frédéric, aussi, mes voisines et mon gardien toujours aussi protecteurs, les soins reçus à l’hôpital dont la qualité ne peut être démentie, la lecture de Foucault qui m’a permis d’analyser en direct le fonctionnement de la discipline (Surveiller et punir, 1975), le plaisir du retour vers le tatami avec mon sensei blagueur et les facéties des enfants, mon état général salvateur, les incroyables professionnels de santé qui me suivent au quotidien, les messages de soutien, le retour progressif à l’activité… Tout ça et plus encore !
Mais j’ai fini par craquer.
Une phrase alors a émergé alors que Sarah encaissait vendredi mes sanglots : je dois retrouver mon corps.
Qu’est-ce à dire ?
Une alimentation équilibrée et riche en ce qu’il faut, une bonne hydratation, un sommeil augmenté, me remettre à marcher, bouger…
Je fais déjà cela. Quoi d’autre ?
Revenir au désir.
C’est hier midi en regardant de travers dans mon assiette un brocoli qui ne m’inspirait pas après que j’ai trouvé un vaillant locataire en l’épluchant que j’ai compris.
Le désir.
Ce n’est pas mon corps dont j’ai été dépossédée par le staphylocoque infiltré, par les bistouris, perfusion et prises de sang, par les drogues et médicaments, par les soins et pansements, par les inévitables atteintes à mon intimité… C’est de mon désir. Je ne saurais dire si on me l’a pris ou si je l’ai perdu ; qu’importe !
C’est lui que je dois retrouver.
Écrire, c’est sûr. Et remettre de la chair dans ma vie.
Faire l’amour. Chiche ? Ça ne dépend pas (que) de moi*.
Écrire.
Éprouver.
Et sourire.
La joie. La liberté.

* Si vous avez des pistes

Note. J’ai fait plusieurs microbillets Twitter depuis l’hôpital sur Foucault : 11 septembre 2022 (matin) ; 11 septembre 2022 (soir) ; 12 septembre 2022 ; 14 septembre 2022.

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