En février dernier, un éditeur ouvrant une nouvelle collection érotique LGBT m’a sollicitée pour que je lui propose un texte. J’en ai été flattée, forcément, mais j’ai un peu traîné à lui donner une réponse car je n’avais ni la tête ni le corps à l’écriture, encore moins érotique. Sur une idée de Sarah, j’ai pensé recycler une cinquantaine de pages que j’avais écrites il y a plusieurs années, un texte destiné à chasser Mathilde, ou tout du moins l’aspect non amoureux des relations qui s’y déroulaient.
J’avais conçu Mathilde dans une trilogie. Vous connaissez les deux premiers volumes. Le troisième qui dort sur mon disque dur visait à la tuer dans une série de séquences entrecoupées de courtes saynètes de théâtre — acte II scène 3 — où le meurtre était commis. Ce volume n’a jamais été édité ni même lu par un éditeur. Il me restait donc à faire le deuil de cet érotisme qui a fait ma réputation d’écrivaine, quelque chose de très écrit et en même temps que très cru.
Il y avait donc ses cinquante pages, et ce contexte qui est ma vie d’aujourd’hui, une maladie qui a requis un an de soins intensifs avant de me proposer une rémission toujours en suspens, avec une autogreffe qui m’a laissé exsangue d’une partie de mon immunité, me donnant une nouvelle jeunesse que ma chair peine à in(corps)poré. Et si cette commande me permettait de renouer justement avec mon corps, de remettre le désir au centre de mon existence par le biais de l’écriture ? Il y avait ces trois semaines en chambre stérile, et ce rêve débridé sur cinquante pages où l’héroïne cherche son désir, son amante, celle que, en Mathilde, elle a définitivement perdue.
J’ai donc proposé un texte où le réel prend typographiquement la place de l’imaginaire, où la sonnerie de la perfusion interrompt systématiquement le plus cru(cial), où l’érotisme se mélange aux effets secondaires les moins avouables, me permettant au final de faire le deuil d’une sexualité si génitale que l’exploit prend le pas sur l’émotion.
Mon interlocuteur, tout en me faisant moult compliments sur la qualité de mon écriture, m’a proposé de revoir ce texte, d’en limiter le nombre de coitus interruptus, de dire le pourquoi de cet hôpital — ce que vous savez et que le texte ne disait pas —, de désigner ces amantes, ce que je ne fais plus depuis Un roman d’amour, enfin… En clair, il me proposait de revoir mon texte pour en faire un texte érotique classique avec certes quelques originalités, mais valorisant le génital, portant le cru à son acmé, indiquant que le désir doit rester une performance, au moins littéraire, pour produire son effet. En d’autres termes, les corrections que j’aurais dû apporter se portaient totalement en faux avec mon intention autant qu’avec ce que j’ai aujourd’hui envie d’écrire.
Nous sommes vingt-quatre heures plus tard et je suis en train de faire la vaisselle, laissant mon esprit vaquer à ses occupations. Et là, surprise ! Il me dit que je vais pouvoir passer à autre chose. Et je sais qu’il me parle d’écriture. Tiens donc… Depuis longtemps déjà, et même avant l’émergence de la maladie, j’ai envie de sortir le texte érotique de sa génitalité. Comment faire ? Qu’est-ce que je pourrais raconter ? Sortir de la génitalité, ce n’est pas éviter le sujet de la relation sexuelle, sujet que je ne veux pour rien au monde abandonner. Par contre je veux le dire autrement, autre part. Comment ? Où ?
Il est beaucoup trop tôt pour que je trouve la réponse à cette question mais le fait qu’elle se pose à moi en plein milieu d’une vaisselle me semble un signe que je n’ai pas l’intention d’abandonner. Pour quoi faire ? Je l’ignore. Et voilà une perspective qui m’enchante.
Merci à ce garçon qui m’a permis de clore quelque chose et de venir enfin à ce qui m’est aujourd’hui essentiel. Je parle d’écriture, bien sûr.