Je parlais d’écriture et de recouvrer le désir…
J’ai justement en cours un texte érotique formé comme un patchwork qui ferait écho à Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train pour exprimer ce désir lesbien que je ressens comme de moins en moins génital. Le risque majeur de ce texte est qu’il tourne en boucle de par sa structure même. Je n’abandonne pas le projet, que je reprends de temps en temps depuis quatre ans déjà. Le relire me touche toujours, mon désir d’aller au bout demeure intact.
J’en avais publié sur mon site les deux premières pages à l’occasion de la Journée internationale de la visibilité lesbienne le 24 avril 2022. Mon site, depuis, a subi une révolution ; le blogue le fait à son tour. Voici ces deux pages. J’y suis attachée. Et je gage que vous les redonner me portera dans ma reconstruction en cours.
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À celles qui ignorent combien mon désir d’elles attise ma plume.
Si vous vous reconnaissez, je vous offre une pizza.
Comment dire.
Je me suis réveillée dans un baiser. J’ai tiré la couette et mis la tête en dessous. La bouillotte était tiède. Le soleil à l’instant l’est également. L’une et l’autre me réchauffent. J’ai froid dedans. Les polaires n’y peuvent rien, la bouillotte et le soleil un peu plus. Peut-être son baiser ? Je m’y concentre. Il a commencé sans les mains. Je suis contre son sein. C’est plus qu’un baiser ; je loge en elle. C’est moi, plus que mon corps. C’est elle, sa chair plutôt. C’est doux, tendre, ardent. Et depuis ce matin, je n’en sors pas.
Je suis troublée. Je la connais depuis trois ans, quatre possiblement. Chaque fois que je l’ai embrassée, pour de vrai, sur les deux joues s’entend, elle posait ses mains autour de mes épaules, comme dans une accolade. À solliciter ma mémoire, ses baisers étaient des étreintes ; nos lèvres ne goûtaient pas nos joues ; les miennes un chouia ; les siennes jamais. Ce matin, c’était pareil. C’est la sensation d’un baiser pourtant qui me reste. Le soleil a tourné (déjà !) Il est un peu plus vif. Je cligne des yeux et monte la lumière de l’écran. J’aimerais lui écrire, qu’elle me rejoigne. Elle est loin. Je n’en fais rien. Elle est là. Le baiser de ce matin n’a pas d’égal ; celui-là et tous les autres, ceux que je savoure, seule, dans ma chair ou entre mes mains.
Un baiser. Embrasser. Étreindre. Cela commence par une voix, un sourire. Pour ce matin, je ne sais pas. J’y étais déjà quand j’en ai eu conscience. Le radio-réveil indiquait six heures cinquante-neuf. Le journal de France Info commençait. J’ignore ce qu’il s’y est dit. J’étais dans le baiser. J’y suis restée le plus longtemps possible, cherchant sa chair dans le résidu de chaleur de la bouillotte. Je l’ai tirée avec le pied pour la ramener entre cuisses et fesses. C’est sa place. J’ai pensé au chauffage installé avant-hier dans l’aquarium. Il aurait été du meilleur effet sur la bouillotte. Je n’ai pas eu le cœur d’en priver Patton. J’avais mieux à faire. Ce baiser.
Je porte mes index à mon nez, paumes jointes, pouces sous le menton. Il me reste une odeur d’épices à force d’en agrémenter mes plats. Aucune ne domine les autres : cannelle, gingembre, girofle, cumin, curcuma, muscade, et d’autres cachées dans le curry. Il n’y a pas de piment ce matin ni de poivre. Peut-être que les fleurs de camomille que j’ai eu du mal à extraire du filtre de la tisanière ajoutent de la douceur au mélange ? C’est surtout sa peau que je cherche. Je ne connais pas l’odeur de sa peau. Nos baisers ont toujours été trop fugaces. Je me dérobais à ses étreintes qui avaient l’air de l’amitié. J’étais gênée, comme si l’air n’était qu’apparence à moins qu’il ne fût pas compatible avec mon désir autant que rien ne trahissait qu’elle pût le faire sien.
J’ai besoin d’une tasse de thé. Je le bois vert et japonais, avec une pointe de gingembre frais. Et toujours je reviens à elle. Cela fait trois matins que cela dure. Son désir fend l’espace et bouscule le temps. Son désir ou le mien ? Je lui prends la main. Que ce geste m’émeut ! Je ne lui ai jamais pris la main. J’ai juste eu la peau de sa joue contre ma joue, ses bras par-dessus mes épaules couvertes, trop couvertes. Mais pourquoi diable ne me suis-je jamais détendue contre son sein ? Oh ! je le sais, pourquoi; de vieilles histoires de filles qui s’emmêlent les unes les autres et corrompent le désir en ce qu’il aspire toujours à produire une relation même si moi, je n’y aspire pas. Comment faire l’amour sans entrer en relation ? Je profite du linge à étendre pour éluder la question. Je reviens contre son sein. Je me fonds dans mon souvenir. Je voudrais rejoindre la couette, chauffer la bouillotte avec l’eau de Patton, qu’il se fraie un passage entre mes cuisses et vogue au cœur de mes nymphes.
Patton est un combattant, pas un saumon. Il est plus rouge. Ses nageoires sont comme les volants d’un jupon. Il me ramène à elle. Tout est prétexte à mon désir. Pourquoi ne lui écris-je pas pour l’inviter à… À quoi ? Elle, ou une autre. Quelle autre ? Elles sont toutes des autres. Mon désir vient de là. Ma joue contre son sein, son cou, ses bras. Comment s’appelle cet espace ? La clavicule ? Le mot juste n’est pas forcément le bon. Ma liste de diffusion enchaîne Cat Power, Jeanne Added et Roni Alter. Je suis gâtée. Elles me raccompagnent dans le baiser. Je dois dépasser son souvenir. J’inhale une dose de mon effluve. Mon bassin vrille. Mon estomac se creuse. J’ai faim. Je suis sous ma couette. Je suis nue. Son index joue de l’arrondi de mon biceps. Neuf ans de judo ; j’en suis fière. Je vais pouvoir serrer fort. Sa chair gironde amortit ma force. J’y pénètre. Elle me porte. Son index… Stop ! il est trop tôt. Je n’en suis qu’au baiser.
Et elle ? Où en est-elle ? À cette heure-ci, elle doit être au travail, assise dans une jolie robe à fleurs devant plusieurs claviers. Ses doigts courent. Je suis à ses côtés. Je pose mes lèvres près de sa nuque. Elle ne bouge pas. Je claque dans mes doigts. J’atteins sitôt la bonne taille, plus petite que les personnages de Lilliput. Je vais pouvoir glisser, plonger, grimper, glisser encore. Mes mains sont à peine des têtes d’épingle. J’ai un peu froid. Je grimpe le long d’une mèche de cheveux et me réchauffe derrière son oreille. J’embouche un bonbec. C’est une gomme. Je suce. Je croque. Elle est trop friable. J’aime les bonbecs qui durent. J’aime les gommes aussi. Il faut choisir. Je ne veux pas choisir. Je veux une fille qui dure et qui fonde. Le bonbec idéal. Celui-ci a un goût de menthe. Quel goût a-t-elle ?
Une gorgée de thé chasse la gomme. Il ne reste que le relent de menthe. Il attise les papilles. Reviens ! S’il te plaît ! Notre baiser de ces trois matins m’échappe et je ne veux pas tout de suite en chercher une autre. J’en ai les larmes aux yeux. C’est sa paume à présent qui caresse mon épaule. Elle me sourit. J’ai l’impression que son œil brille. À quoi pense-t-elle ? Ma vulve ne pense qu’à ça. Mon ventre. Je la veux tout entière dans mon ventre. Elle va voir, il sait être accueillant même si le climatère a rétréci la muqueuse. Attention ! c’est un peu douloureux ; non ! ne t’arrête pas. Viens. Passe la tête d’abord, les épaules, les seins, les hanches. Tes fesses. Je m’y ancre. C’est moi à présent qui plonge. Je suis bien.
[Cy Jung®, mai 2019]
Parfois cet espace s’appelle la maison.
Mais je suis peut-être trop sentimental 🙂
Ça se lit presque comme de la poésie. Ça rime souvent.
Comme une chanson ? Il y a un rythme la dedans.
Oui, c’est définitivement très poétique.
Je ne sais pas si ça rime, je parlerais plus de musique ; c’est tout du moins le point de vue de l’autrice ! 😉
Merci de votre lecture ; je m’en régale toujours.
Ce qui est sur c’est qu’une mélodie se formait dans ma tête pendant que je lisais.
Elle était cependant indéfinissable, insaisissable.
C’est très intrigant, curieux.
Surprenant.
Je ne sais pas vous dire…