Tricheurs

Les lecteurs de Tu vois ce que je veux dire se souviennent sans doute de cette partie de pétanque où l’on m’a accusée de tricher. C’est un poncif. À partir du moment où une personne handicapée ne répond pas aux stéréotypes du handicap visible dont il est censé être porteur, on considère que c’est un tricheur. Quant au 80 % de personnes à handicap invisible, ce sont forcément les pros de l’affabulation.
Les Jeux paralympiques ont été l’occasion de revenir sur le sujet pour discréditer un peu plus une bonne partie des personnes handicapées. Il y a d’abord eu de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux quand des internautes ont considéré que quelqu’un qui est dans un fauteuil roulant et qui est susceptible de se lever est un tricheur. Il y a eu un article de Libération qui évoquait la triche de certains sportifs qui s’alignaient pas forcément de manière honnête sur certaines compétitions paralympiques.
Si l’on peut facilement traiter les premiers d’imbéciles, l’article de Libération, lui, pose question et je ne crois pas que le sujet soit tabou : à l’évidence, la participation aux Paralympiques n’est pas justifiée pour quelques sportifs ; une minorité. Je prendrai quand même un exemple cité par cet article d’un judoka qui aurait fait signe à son entraîneur de loin, ce que le journaliste interprète comme la preuve que sa déficience visuelle ne mérite pas inscription aux Jeux paralympiques.
Je suis assez bien placée pour vous dire qu’il est possible de saluer son entraîneur de loin sans forcément le voir. Je vous rappelle que « Voir, c’est savoir ce qui est où ». Ainsi, je peux savoir que mon entraîneur est dans cette direction, savoir qu’il porte ce jour-là une tenue d’une couleur qui fait particulièrement contraste et le saluer, de loin, sans le voir, et parfois d’ailleurs me planter.
Le handicap est toujours difficile à mesurer, l’acuité visuelle sans doute plus que tout autre surtout si l’on tient compte, ou non, des troubles visuels associés. C’est ainsi que l’on vient à mesurer l’autonomie, à l’instar de la loi de 2005, autonomie qui très souvent ne correspond pas à l’idée que l’on se fait du handicap et qui porte la personne handicapée à la performance. Son taux d’effort n’est jamais mesuré ; et son droit à compensation en pâtit.
Cette idée de triche ne sert qu’une chose : le validisme en tant que système d’oppression ; elle crée une opposition entre personnes handicapées et valides, des « conflits d’intérêts » fondés sur des représentations erronées. Lors de mes permanences pour le médiateur de la Ville de Paris, j’ai souvent face à moi des personnes cherchant un logement. La plupart arguent que les handicapés (et les étrangers bien sûr) prennent (sous-entendu abusivement) les logements vacants. Paris Habitat loge 286 500 personnes ; 6 892 sont titulaires d’une CMI ; 2,5 % alors que le handicap touche 18 % de la population.
Qui c’est qui qui triche ?

* Chiffre donné par Paris Habitat lors d’une réunion du CLH19.