Ennui

Isabelle m’a posé la question de savoir si je m’ennuyais un jour où j’avais un peu le moral dans les chaussettes. C’est une question un peu récurrente dans ma vie, chaque fois notamment que les circonstances me portent à modifier mes habitudes. Après maintenant presque deux ans de traitements, si la maladie est en rémission, ses effets secondaires contraignent mon quotidien : douleurs, fatigue, impossibilité de faire certaines activités… alors oui, en ce moment, je m’ennuie non pas que je n’ai rien à faire mais je n’ai pas beaucoup d’appétit à le faire. Je reste concentrée sur les soins avec l’idée que quand le traitement de consolidation sera terminé (dans deux ans et demi) je veux absolument être en forme.
C’est quoi, « être en forme » ? Dans mon univers, c’est être en mesure de mener mes journées avec une certaine intensité. Les personnes qui ont coutume d’être fatiguées vont me rire au nez et elles auront bien raison. En dépit de mon handicap visuel, de ma maladie et de ses effets invalidants, je garde toujours l’envie d’une certaine intensité…
Mais finalement cela correspond à quoi ? J’ai accepté sans trop de difficulté que j’avais besoin de passer dix heures par jour dans mon lit. Je suis bien dans mon lit, je n’ai mal nulle part et je dors. Mais cela ne fait pas une vie dans l’idée que j’en ai bien sûr… Cela pourrait. Et cela serait tout aussi honorable que cette intensité que je recherche. Alors de quoi ai-je besoin ? Cuisiner. Lire. Marcher 12 à 13 000 pas par jour. Faire 20 à 30 minutes par jour d’activité physique que j’appelle sport. Aller donner des cours de judo dans le 19e une ou deux fois par semaine. Tenir mes permanences pour le médiateur de la Ville de Paris. Participer à quelques groupes de réflexion autour de la maladie ou du handicap. J’aimerais bien écrire aussi mais en dépit de mon travail sur Patiente 17, le déclic ne s’est pas encore produit. Je passe aussi beaucoup de temps avec celles et ceux qui me sont véritablement proches et c’est, je l’avoue un moteur important.
Avec tout ça, je ne devrais pas m’ennuyer… Ce n’est donc pas vraiment le manque d’activité qui provoque cette notion d’ennui ; c’est plus le sens que j’y mets. Je ne suis pas la seule à me poser la question de ce que signifie vivre et ce que signifie une belle vie. Je n’ai pas grand-chose à reprocher à la mienne si ce n’est un petit défaut de reconnaissance de mes engagements. Mais les roues tournent ; et je sais que j’aurai d’autres moments où l’adrénaline va pulser. En attendant, je lis des niaiseries, je regarde des séries à la télé, je mets toutes les chances de mon côté si tant est que je puisse avoir un impact réel sur ma santé. Je réfléchis également à être un petit peu plus contemplative… Ça n’a jamais été mon truc ! Je suis encore suffisamment jeune pour découvrir des plaisirs que je n’ai jamais eus.