Il m’arrive régulièrement de « m’occuper l’esprit » en prononçant dans ma tête des discours, des allocations dont je cherche chaque terme, construit chaque idée. C’est ce que je faisais l’autre soir dans le métro après avoir été sollicitée pour un débat sur la lesbophobie ; je cherchais ce que je pourrais dire, pas ex nihilo mais en construisant mon propos phrase après phrase. Et m’est venu un argument qui m’a arrêtée, argument si incroyablement évident que le fait que cette évidence m’ait jusqu’alors échappé m’en a fait douter.
J’étais en train de dire « Tout commence à cet instant, à l’écographie ou à la naissance, où quelqu’un s’exclame et proclame C’est une fille ! ; C’est un garçon ! » « Fille » contre « garçon »… Et pourquoi pas « fils » ?
Dès mon ordinateur retrouvé, je consulte mes dictionnaires : l’exact féminin de « fille » est bien « fils » et non « garçon » qui est certes un « enfant de sexe masculin », mais enfant, qui en dehors de certains usages régionaux, est désigné en tant que personne indépendamment de ce qu’elle est « considérée par rapport à son père ou à sa mère ou par rapport aux deux. » (Antidote) Le « garçon » échappe donc d’emblée à ses missions filiales et familiales, déjà autonome et débarrassé de la contrainte parentale là où la « fille », elle, restera « enfant de » jusqu’au jour où elle sera femme, sauf à rester « fille » soit une « jeune femme qui mène une vie peu recommandable, qui vit dans la débauche ». Le « garçon » qui resterait « garçon » n’aura sans doute pas de meilleures mœurs mais Antidote, toujours, insiste plus sur le « garçon » en tant qu’ « ouvrier » que sur celui qui a besoin d’un adjectif pour devenir aussi infréquentable qu’une « fille ».
Je n’en reviens toujours pas d’avoir mis près de quarante-neuf ans pour découvrir une telle évidence. Il m’en reste encore tant à découvrir… Chouette !
Note : Isabelle me signale trois billets où il est question de « fille » et de « garçon » : « Mariage @2 » ; « Mariage @4 » ; « Mariage @5 ». Il ne nous reste plus qu’à vivre le féminin de « garçon », nous qui le manquons au quotidien !
Le garçon change de statut quand son père lui dit solennellement, la main sur l’épaule : « Tu seras un homme, mon fils », celui qui héritera du nom, du patrimoine, voire du poste de dirigeant dans l’entreprise.
Et quand le père dit à sa fille « Tu seras une femme, ma fille », il lui colle la main aux… Oups ! Je m’égare.
Et quand il dit « Ma femme, tu seras une fille » et la poussant sur le trottoir…
Elle a oublié le « fromage qui tue » ?
Depuis des années, j’ai remarqué des manques pour nous nommer : fille et fils, fille et garçon – femme et homme, femme et mari. J’ai bien compris que vous étiez contre le mariage, il n’empêche là aussi un terme est absent.
Bonjour Chantal, bienvenue en Hétéronomie.
Vous avez tout à fait raison. Il est vrai que je m’intéresse peu au mariage mais il s’agit du même processus lexical d’oppression.
Ce que vous écrivez et tout simplement criant de vérité.
En partageant le cheminement de vos pensées, vous me permettez en le suivant d’y voir très claire.
J’ai lu la fin en un éclaire tellement j’ai été emballé.
Il faut que je relise, mais l’évidence m’a mis là KO.
Merci Vincent ! 😉 Je n’y suis pour rien, c’est vous le lecteur !